Les déclarations récentes de M. Hamid Temmar sur la possible utilisation des réserves de changes pour financer le développement de l'industrie ont au moins le mérite de rouvrir le dossier économique qui a provoqué au cours des dernières années le plus de commentaires et le moins de réalisations. Si les investissements réalisés et qui continuent d'être programmés pour les années à venir dans les infrastructures économiques sont approuvés par la plupart des acteurs économiques, l'absence d'une action significative en faveur de l'investissement industriel provoque une frustration croissante. Contrairement à ce qui a été écrit ici et là, le ministre de l'Industrie est certainement dans son rôle en réclamant les moyens d'une politique plus ambitieuse. La lenteur qui caractérise la progression de ce qu'on appelle depuis des années la politique industrielle du gouvernement n'est certainement pas imputable au seul M. Temmar. Pour beaucoup d'observateurs, c'est l'absence de consensus entre les différentes composantes des cercles dirigeants algériens sur les objectifs et surtout les bénéficiaires d'une politique industrielle qui est responsable du déclin de l'industrie algérienne et qui fait qu'elle ne représente plus aujourd'hui qu'environ 5% du PNB national. À la recherche du consensus La recherche et la progression vers ce consensus sur une stratégie nationale d'encouragement et de développement de l'industrie, c'était l'objectif majeur des Assises nationales de l'industrie organisées de façon très solennelle voici exactement 3 ans. Il s'agit d'un événement qui a marqué et qui inspire aujourd'hui un sentiment de nostalgie à beaucoup de cadres et d'opérateurs du secteur, sans doute en raison des larges consultations auxquelles, une fois n'est pas coutume, il a donné lieu. Cette grand-messe réunie au Palais des nations avait pour objectif de déboucher sur ce qui manque depuis plusieurs décennies à l'industrie algérienne : un document de stratégie à moyen et long terme reposant sur un dialogue et une concertation avec l'ensemble des opérateurs économiques nationaux. Elle avait d'abord cherché à rassurer les investisseurs nationaux inquiets et frustrés par l'accent mis depuis le début de la décennie sur la captation des IDE. “La politique des IDE ne doit pas substituer l'action des investisseurs étrangers à celle des acteurs nationaux publics et privés”, avait assuré M. Belkhadem. “L'investissement national est le premier à être invité à participer au développement du pays”, renchérissait M. Temmar. Mises à part ces manifestations de la sollicitude des pouvoirs publics vis-à-vis des opérateurs nationaux, les Assises de mars 2007 ont surtout été marquées par leur insistance sur l'importance de l'intervention de l'Etat après une longue période marquée par une volonté de désengagement du secteur productif. Ce retour de l'Etat est destiné d'abord “à faire pleinement jouer les externalités”, c'est-à-dire à financer les infrastructures économiques. L'intervention de l'Etat est également une nécessité dans la définition des secteurs industriels à promouvoir. Les secteurs sur lesquels le choix des concepteurs de cette stratégie s'était alors porté concernent : “La production d'engrais, l'industrie sidérurgique et métallique, les matériaux de construction, l'industrie automobile et mécanique, l'industrie pharmaceutique, l'industrie agroalimentaire ainsi que les technologies de l'information et de la communication.” En dehors de la dernière branche mentionnée, les activités retenues correspondent assez exactement au paysage industriel existant et concernent aussi bien les secteurs publics que privés, ce qui constitue une assez bonne illustration du climat qui a entouré cette manifestation. Le casse-tête des entreprises publiques Trois ans plus tard, les choses n'ont pas beaucoup avancé. Le département de M. Temmar a tenté de prolonger la démarche annoncée en 2007 par la création de 13 groupes industriels et de sociétés économiques de développement (SED) destinées à remplacer les SGP existantes. Cette démarche, qui visait également à doter les nouvelles structures d'une large autonomie de gestion, s'est heurtée à l'opposition du Premier ministre, M. Ahmed Ouyahia, qui a clairement signifié voici un peu plus de 2 ans qu'“elle n'a jamais fait l'objet d'une adoption par le Conseil des ministres”. Dans la foulée, le Premier ministre fait également adopter, en février 2008, un texte qui rétablit la tutelle des ministères sur les entreprises publiques. Depuis plusieurs années, les EPE, par-delà les SGP, dépendaient du ministère de l'Industrie de M. Temmar notamment pour tout ce qui concerne les opérations de recherche et de conclusion de partenariat avec des entreprises étrangères. La réorganisation décidée par M. Ouyahia rétablit dans ce domaine une tutelle de chaque département ministériel sur les entreprises traditionnellement de son secteur. On aura noté au passage que ces deux démarches concurrentes, qui ont occupé le devant de la scène au cours des dernières années, s'affrontent en priorité sur le terrain de la gestion du secteur public et laisse entier le problème du soutien à apporter au développement du secteur privé national. Changement de contenu et changement de forme également. Le style Ouyahia est plus direct. L'heure n'est plus au dialogue et à la concertation avec les opérateurs. Le Premier ministre procède par injonctions. Plus précisément par instructions adressées aux hauts fonctionnaires et aux dirigeants des entreprises publiques. Pour autant et en dépit de la forme extrêmement dirigiste adoptée depuis plus de 2 ans par la gestion de l'exécutif, la structuration concrète des branches annoncées comme prioritaires n'a pas enregistré d'avancée visible et l'action sur la transformation et la densification du tissu industriel national semble continuer à se heurter au poids et à l'inertie relative du secteur public. Lever les contraintes Si avancée il y a eu au cours des dernières années, c'est dans l'aménagement de l'environnement des entreprises qu'on peut la trouver. La démarche visant à lever un certain nombre de contraintes identifiées de longue date a commencé à voir le jour. La contrainte liée à l'accès au foncier est l'une d'entre elles. Notons tout d'abord que dans ce domaine, la réalisation de nombreuses infrastructures de transport autoroutières, routières ou ferroviaires pourrait, selon beaucoup d'analystes, changer la donne en contribuant au désenclavement de beaucoup de régions et en rendant économiquement viables des zones autrefois délaissées par les investisseurs. L'autre avancée réalisée au milieu de l'année 2008 concerne la création d'une agence de régulation foncière, l'Aniref, chargée de récupérer les surplus fonciers appartenant aux structures publiques dans le but de les mettre à la disposition des opérateurs économiques. Dotée de 7 antennes régionales, elle a effectivement démarré ses activités en procédant à une première vente aux enchères en juin 2008. Le financement en question Reste la question essentielle du financement de l'industrie. Dans ce domaine, il semble qu'on ait franchi une étape qualitative dans le sens où les instruments existent mais que se pose encore un problème d'échelle. Beaucoup d'analystes jugent aujourd'hui le niveau de capitalisation des divers fonds de garantie destinés à couvrir les engagements des banques insuffisant pour enclencher une véritable dynamique de développement notamment pour ce qui concerne les PME. Voici exactement un an, on créait en grande pompe un Fonds national d'investissement destiné à la fois au financement des investissements nationaux inscrits au budget de l'Etat et aux projets relevant du secteur productif. Sa dotation initiale est de 150 milliards de dinars ce qui, compte tenu de ses très larges attributions et de la création en cours de ses démembrements régionaux, peut sembler assez modeste. La prise de conscience par l'Exécutif algérien de la nécessité d'une action plus résolue en matière de stimulation du développement industriel est une des caractéristiques de l'action des pouvoirs publics au cours des dernières années. C'est le niveau des moyens mobilisés qui semble aujourd'hui faire problème. La dotation du FMI représente moins de 2% des réserves de changes du pays et moins de 5% des ressources du Fonds de régulation des recettes. C'est dire qu'il existe encore de la marge pour le financement d'une stratégie industrielle ambitieuse et que la posture adoptée par M. Temmar, voici quelques jours, est loin d'être incongrue.