Cinq ans de réclusion pour le juge Bekir. Pour avoir accordé 1 100 milliards de dommages et intérêts à un entrepreneur privé, deux magistrats de la cour d'Alger et un expert agréé auprès des tribunaux ont comparu jeudi devant le tribunal criminel de Blida. Ce procès qui a duré vingt heures s'est soldé par l'inculpation du principal accusé, Bakir Tahar, à cinq années de réclusion, à l'acquittement de Tagaïlit Abdelhamid et à six mois d'emprisonnement pour l'expert M. Bayoud Redhouane. Ce verdict était prévisible au fil de l'audience. La contradiction flagrante qui existait entre les deux magistrats prévenus allait déboucher sur cette issue. Même si maître Benbraham Fatima, dont la plaidoirie a été à la hauteur de sa réputation, a qualifié cette affaire de procès de la justice. En effet, pour l'avocate de la défense, il n'y a aucun texte de loi en Algérie qui précise la responsabilité administrative ou pénale d'un magistrat. Comme il n'y a aucune loi qui interdit au juge de cumuler la demande des dommages et intérêts. Maître Benbraham Fatima estime que son client n'a aucune raison d'être au box des accusés. Surtout que les magistrats poursuivis ont rendu une décision sur la base d'une requête d'appel. L'avocate, qui regrette l'absence des représentants de la Sonatrach à cette audience, dira : “Si quelqu'un devait être jugé dans cette affaire c'est bien Sonatrach et ce, pour mauvaise gestion. Comment se fait-il que la première entreprise nationale qui avait tous les moyens légaux pour défendre cette affaire ne s'est aperçue de la décision, que plusieurs mois après ?” s'est demandé maître Benbraham qui ajoute : “La présence des responsables de la Sonatrach à cette audience nous aurait permis de connaître le montant de la transaction du marché qui a été passé entre elle et la société hollandaise NACAP/BV qui n'a pas honoré ses engagements mais qui a, néanmoins, perçu 85 % du montant en devises”. L'avocate de la défense estime que la Sonatrach qui n'a pas bien défendu son affaire a fait une renonciation tacite de son droit. Les deux magistrats membres de la Chambre commerciale près la cour d'Alger, sont accusés de falsification de documents et de corruption pour avoir accordé 11 milliards de dinars, soit 1 100 milliards de centimes à un entrepreneur privé qui poursuivait Sonatrach en justice. Il est reproché à l'expert d'avoir établi une expertise de 87 milliards de dinars soit 800 milliards de centimes, qui est plus que favorable au demandeur. L'avocate de Sonatrach qui représentait maître Ali Haroun parle de 600 fois le montant du marché, objet du litige. En effet, M. Belahcène Abdelmadjid, patron de la société Erbatis devait, pour un montant de près de 2 milliards de centimes, réaliser des clôtures pour la base vie de la société hollandaise NACP/BV. Pour ce faire, il a mobilisé de gros moyens humains et matériels. La défection de cette société étrangère lui a causé un préjudice évalué en 1989 à 150 millions de dinars. Le patron d'Erbatis qui impute le préjudice à Sonatrach, a réfuté cette expertise se basant sur la dévaluation du dinar. Suite à cette demande, le tribunal de Bir-Mourad-Raïs désigne l'expert Bayoud qui évaluera le préjudice à 8 milliards de dinars. Pour le ministère public et l'avocate de la partie civile, les deux magistrats et l'expert ont accordé des dommages et intérêts astronomiques, de complaisance et plus que favorables au demandeur. Le procureur général et l'avocat de la Sonatrach estiment que “le montant à lui seul choque l'esprit du citoyen”. Le représentant du ministère public relèvera dans son réquisitoire que l'expertise présentée par Bayoud ne pouvait être élaborée par lui en sa qualité d'expert en génie civil. L'expertise judiciaire faisait référence à des articles de loi que seul un professionnel du droit pouvait maîtriser. Pour les avocats de l'expert, leur client qui était mandaté pour faire une expertise sur le taux d'inflation à partir des 150 millions de dinars n'a fait que son travail et l'expertise n'est qu'un avis technique. Par ailleurs, en tant qu'auxiliaire de la justice, il a présenté une expertise judiciaire qui contenait plusieurs articles de loi. Ils estiment que l'expert a été poursuivi pour avoir bien fait son travail. Dans sa plaidoirie, l'avocate de la partie civile a demandé 11 milliards de dinars de dommages et intérêts. Elle estime que la décision de la Chambre commerciale près la cour d'Alger était à l'origine du blocage des comptes de la Sonatrach en France, au Bénélux et en Algérie, même si le demandeur n'a pas pu récupérer le montant, le préjudice causé à Sonatrach est important. Le représentant du ministère public a, dans son réquisitoire, demandé 10 ans contre Bakir Tahar, 5 ans contre Tabaïlit Abdelhamid et une réclusion de 4 ans, assortie d'une amende de 10 000 DA contre Bayoud Redhouane. M. A.