“Nous étions des dizaines encaqués comme des harengs dans les box… Il y avait même des femmes incarcérées dans le box du bâtiment du milieu…” Le centre de détention administrative opérationnel de 1957 à 1962 et connu sous le nom de la ferme Lucas, ou encore “domaine Saint-François”, situé à 25 kilomètres de la ville de Batna, dans la commune de Djerma, transformé en musée ne fait toujours pas l'objet d'une promotion à même de lui permettre de jouer son rôle, celui d'une mémoire collective blessée par une nuit coloniale de 132 ans. La porte est rarement franchie par d'autres visiteurs que des officiels en tournée protocolaire dans les lieux plus qu'en une visite guidée à travers un pan entier de notre histoire. Il faut dire aussi que les Algériens ne sont pas friands des lieux à la réputation sinistre. En effet, malgré sa transformation en musée, cette grande ferme composant un logis (RC + 1) avec pigeonniers et des dépendances formant une cour arborée et fermée, n'est malheureusement pas arrivée à se débarrasser de sa sinistre réputation, à savoir celle d'un centre de détention administrative, utilisé durant la guerre de Libération, comme camp d'internement ou pire, un camp d'extermination. Les souffrances, les tortures et les âmes des personnes exécutées froidement planent encore sur les lieux et la ferme semble les raconter à celui qui sait écouter. Selon les témoignages des internés encore vivants “plus de 700 internés, suspects pour leurs engagements politiques ou leur appartenance à la Révolution” ont souffert le martyre dans ce site. Plusieurs ont payé de leur vie. “Nous étions des dizaines encaqués comme des harengs dans les box… Il y avait même des femmes incarcérées dans le box du bâtiment du milieu…”, nous racontent des anciens internés de la ferme Lucas. “Je vois encore cet enfant, Mohamed Déchache, actuellement installé à Constantine, qui n'avait pas bouclé ses quatorze ans à l'époque, caché dans une valise métallique, que les Français dissimulaient à l'inspection de la Croix-Rouge”. Tous les témoignages des rares survivants imputent les tortures et les liquidations physiques aux éléments du Dispositif opérationnel de protection (DOP). “Il ne passe pas un jour sans que les éléments du DOP amènent des innocents à Dar El Karmoud (maison des tuiles) pour les exécuter froidement et les jeter dans le puits”, racontent encore nos interlocuteurs. Pour eux, la ferme Lucas reste un lieu de mémoire nationale des victimes des persécutions racistes et des crimes contre l'humanité commis par l'armée française.