L'irruption massive et brutale des gaz non conventionnels sur le marché de l'énergie des Etats-Unis bouscule à la fois deux types de sources d'énergie: le gaz naturel “classique” et les énergies dites propres (clean energy).Pour l'Algérie, pays exportateur d'hydrocarbures c'est paradoxalement une bonne et une mauvaise nouvelle. Expliquons d'abord -parce que cela va être plus court- pourquoi c'est aussi une bonne nouvelle. Ceux des grands pays consommateurs qui organisaient déjà les funérailles des énergies carbonées (hydrocarbures et charbon essentiellement) en pensant être bien engagés dans la transition énergétique devront revoir leurs plans. Pas seulement en reconsidérant la pertinence datée de leur projet de taxe carbone mais également en “travaillant” avec les pays de l'OPEP pour trouver un juste prix du pétrole évitant ainsi sa volatilité. Les résultats de la 12ième réunion ministérielle du Forum international de l'énergie qui s'est tenue les mardi et mercredi 23 et 24 mars 2010 à Cancun (Mexique) en témoignent. Ainsi le DG de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) a rappelé à ce sujet qu'un calendrier d'action a été arrêté conjointement avec l'OPEP. Du coup les cours du brut se sont consolidés à plus de 80 dollars le baril. Par ailleurs on comprend à présent mieux les résultats mitigés du Sommet de Copenhague. En vérité les Etats-Unis avaient comme priorité de construire d'abord leur indépendance énergétique et de ne s'engager que sur cette base vers les énergies renouvelables. Si l'on veut une preuve supplémentaire le président Obama vient d'autoriser l'élargissement des zones de prospection gazière et pétrolière dans son pays. Il faut reconnaître que ce contre-pied dans son programme “green energy” n'avait pas été anticipé par beaucoup d'observateurs. Ceci dit c'est également une mauvaise nouvelle, même si nous ne sommes pas engagés de façon significative dans le marché spot du GNL des Etats-Unis. Je relève pour ma part au moins trois grandes incertitudes qu'il nous faudra lever. Mais avant de les évoquer je voudrai réfuter d'abord le concept de bulle utilisé pour caractériser la mise sur le marché de ces quantités additionnelles de gaz non conventionnels qui ont pratiquement asséché le marché spot du GNL aux Etats-Unis et ont donc tiré les prix du gaz vers le bas. Car une bulle est, en général, appelée à éclater et à rééquilibrer ainsi les prix. Bien au contraire ces quantités additionnelles de gaz non conventionnel mises sur le marché vont augmenter. Ainsi Energy information Agency prévoit que “les gaz non conventionnels représenteront 56% de l'offre aux USA en 2030 alors qu'ils ne représentaient que 27% en 2000”. C'est pour cela que je partage le point de vue d'Yves Mathieu de l'Institut français du pétrole (IFP) qui démontrait lors du Congrès de l'AFG tenu à Lyon du 15 au 18 septembre 2009 “que l'exemple US montre que les non conventionnels peuvent prendre le relais” pour asseoir définitivement leur indépendance énergétique. Cette situation nous pose donc au moins trois types de problématiques complexes. La première est celle relative à la faisabilité et aux effets de la contre mesure annoncée déjà par le ministre de l'énergie et des mines, Chakib Khelil : celle de la baisse de la production de gaz naturel par les pays exportateurs à la faveur de la réunion à Oran du Forum des pays exportateurs de gaz (FPEG) le 19 avril 2010. Faisabilité délicate car la rigidité de la chaîne gazière et l'impératif du respect des engagements de livraison découlant des contrats à long terme limitent les marges de manoeuvre. Sur le plan de l'offre gazière mondiale cela tombe mal avec les nouveaux trains de GNL (Qatar, Russie, Nigeria, Yémen) et le gazoduc North Stream. Pour nous aussi, avec les investissements déjà engagés par exemple : le gazoduc Medgaz, les nouveaux trains de GNL à Arzew et à Skikda, la mise en production - avec Total- du champ de Timimoun en 2013. Enfin sur le plan politique et stratégique, pourra-t-on différer le projet de gazoduc Nigéria-Algérie (Nigal) ? Voyons ensuite les effets potentiels de cette baisse de production. S'ils se traduisaient par l'augmentation recherchée des prix du gaz nous aurions du même coup de nouvelles quantités de gaz non conventionnels sur les marchés mondiaux produites par d'autres pays importateurs. En effet le point mort en matière d'investissement dans la production du gaz de schiste se situe pour certains spécialistes autour de 6 à 8 dollars le million de Btu. La deuxième problématique lourde est l'impact potentiel que peut avoir cette baisse des prix du gaz naturel sur la valorisation internationale des exportations à fort contenu gazier (ammoniac, urée, produits gazochimiques). Il faut rappeler à cet égard que l'essentiel du programme investissement aval a été lancé par Sonatrach avec ses partenaires étrangers (Orascom et Total notamment). La troisième problématique renvoie de nouveau au réexamen du rythme et du profil à long terme d'exploitation de nos réserves gazières à l'aune de cette nouvelle donne énergétique. En attendant il faudra s'en tenir aux contrats d'approvisionnement à long terme: renouveler ceux qui arriveront à terme (exemple de la Turquie) et mettre en place de nouveaux (exemple de l'Angleterre). Mais au moins, pour toutes ces raisons, on aura du 18 au 21 avril à Oran, une 16ième Conférence internationale sur le gaz naturel liquéfié (GNL) particulièrement intéressante.