Mohand Issad Avocat et président de la commission nationale de réforme de la justice “Je déplore qu'après douze ans de presse florissante, nous risquons de faire un pas en arrière qui serait un coup très dur pour la construction de l'Etat de droit. Une presse libre est le porte-voix du peuple, de son élite et de sa classe politique. Il ne serait pas sain de nous ramener à l'époque de la pensée unique, plus réellement à l'absence de pensée. Le monde évolue vers le pluralisme, la liberté de la presse et d'expression. Je ne souhaite pas que mon pays perde le terrain qu'il a conquis depuis une douzaine d'années et qui a fait de la presse algérienne l'une des plus libre. On dit que la presse exagère mais, en réalité, ce sont ceux qui lui font écrire ce qu'elle écrit qui exagèrent. Le pays traverse, actuellement, une phase dangereuse parce que passionnée. Il serait salutaire que chacun retrouve son sang-froid.” M'hammed Yazid Ministre de l'Information au sein du GPRA, fondateur de la Maison des libertés “C'est un comportement scandaleux du gouvernement qui n'est pas une surprise, un gouvernement qui est sans assise populaire et qui, face à des accusations très précises de la presse indépendante, au lieu de les réfuter, se comporte en Etat voyou. Ce comportement frôle la forfaiture et je pense très sérieusement qu'au-delà d'une certaine limite, l'arbitraire provoque automatiquement une réponse adéquate. Moi, personnellement, je n'écarte pas, dans les circonstances actuelles, la désobéissance civile.” Abdelaziz Rahabi Ancien ministre de la Communication et de la Culture “Les dernières mesures prises sous le couvert de la commercialité présentent, dans la forme, une simple modalité technique destinée à assainir des imprimeries publiques qui ont toujours exécuté des injonctions politiques et autres à l'origine, pour une grande part, de leurs difficultés financières actuelles. La commercialité aurait justement exigé de préserver les intérêts des partenaires commerciaux, selon les modalités convenues entre les éditeurs et les imprimeurs. Tel ne semble pas être le cas. Il est regrettable que les pouvoirs publics inscrivent leur démarche dans une logique de confrontation, marquée par la déliquescence de l'Etat, qui fait que la presse s'impose comme un relais essentiel des préoccupations du citoyen et un rétrécissement du champ des libertés publiques. Les risques de dérapage sont multiples et il appartient avant tout aux plus hauts responsables du pays de ne pas favoriser une escalade dont les conséquences sur la société et sur les institutions sont des plus incontrôlables.” Abdelkader Zidouk Vice-président de l'APN, membre du CC du FLN “Je conteste cette mesure qui porte atteinte à la liberté de la presse et j'exprime mon inquiétude quant aux menaces et aux pressions que certains cercles font peser sur cette même presse. J'appelle avec insistance les parties concernées à cesser leurs attaques contre les journalistes qui accomplissent leur mission en professionnels, ces journalistes mêmes qui ont payé un lourd tribu pour que l'Algérie ne tombe pas sous le joug des obscurantistes et des extrémistes.” Soufiane Djilali Membre fondateur d'El-Badil “Je crains que la décision de suspendre les journaux indépendants sur de fallacieux prétextes ne confirme un processus de coup d'Etat que nous prépare Bouteflika et ses complices. L'ensemble de la classe politique et de la société civile doit réagir, de la façon la plus ferme qui soit, pour bloquer ce processus dangereux. L'Algérie de 2003 n'est pas celle de 1962, ni celle de 1990. Espérons qu'il s'agit là du dernier épisode avant que le pays n'entre dans une ère de droit et de liberté.” Leïla Aslaoui Ancien ministre et sénatrice “Chers amis journalistes, vous voici confrontés aux sanctions de Bouteflika qui entend — du moins, il le croit — vous priver de votre droit d'informer sous le motif fallacieux de paiement de créances. Est-ce étonnant ? N'est-ce pas le même Bouteflika qui a usé d'un quolibet fort injurieux à l'égard de cette presse indépendante en 1999 ? Est-ce étonnant lorsqu'on sait que Bouteflika et son clan ont toujours refusé de s'adresser aux journalistes algériens, leur préférant leurs confrères étrangers, notamment ceux qui les caressent dans le sens du poil ? Est-ce étonnant lorsque Nouredine Zerhouni avait déclaré que le directeur du Matin paierait ? Mais, dans le même temps, cette manière illégale, d'une époque révolue, de vouloir tordre le cou au droit d'informer et à la liberté d'expression démontre au grand jour l'affolement de Bouteflika et de son clan, qui répondent aux scandales dont nous avons été informés, grâce à votre courage, par la suspension. Et alors ? En pratiquant la politique de la terre brûlée, vont-ils vous empêcher de poursuivre votre combat ? Vont-ils nous empêcher d'être à vos côtés quel qu'en soit le prix ? La presse pluraliste indépendante est un acquis dont l'Algérienne que je suis est très fière parce que, contrairement à ce qu'a dit Chakib Khelil dans sa lettre au Matin, l'Etat n'a rien offert aux journalistes. Le droit d'informer et de s'exprimer est un combat que vous avez arraché au péril de vos vies. Il est vrai qu'en ce temps-là, Bouteflika traversait le désert doré des pays du Golfe. Chers amis, la presse indépendante est un acquis irréversible et Bouteflika n'aura même pas le temps et la capacité de comprendre cela, qu'il sera déjà parti. Son clan aussi. Vous suspendre ? Et alors ? Cela nous empêchera-t-il de partager votre combat, de rendre hommage à votre courage et d'être informés envers et contre tout ? L'ère du canard unique est révolue. Merci à vous tous et je dis bien que, quel que soit le prix à payer, je serai toujours à vos côtés. Quelle honte de voir qu'en 2003, Bouteflika et son clan veuillent bâillonner la presse ! La suspension ? Et alors ? Elle ne sera qu'un intermède sans consistance comme Bouteflika lui-même. Courage, amis journalistes ! La presse indépendante algérienne pèse de tout son poids aujourd'hui, ici et ailleurs. Bouteflika et son clan semblent les seuls à ne pas l'avoir compris.”