Depuis plus d'une quarantaine d'années la poésie libre proprement algérienne a traversé une période qui ne lui a guère été profitable ni avantageuse. Ignorée et exclue des programmes scolaires à tous les niveaux, elle a été mise au ban de la pensée, considérée comme une production mineure, impubère, un passe-temps inutile, bref, une réalisation superflue. Forcément, pour transformer une société en une autre, il eut fallu faire disparaître, du moins dans les environnements de la communication officielle, tels que la télévision, la radio, les journaux, l'école, entre autres, tout ce qui pouvait être de nature à véhiculer l'esprit et l'âme vive et vivante de l'algérianité. Pourtant, la poésie libre proprement algérienne, celle de nos poètes naturels, “enseigne des valeurs telle que la sauvegarde des racines culturelles et identitaires dans leur authenticité, donne une image d'un monde nullement figé et, enfin, elle est annonciatrice d'un temps nouveau”. Chez nos voisins du Nord, c'est la poésie enseignée de Fénelon, Homère, Sophocle et autres Virgile qui a fait, depuis l'Antiquité, la grandeur de la culture et de la littérature actuelles sur l'ensemble de la rive nord de la Méditerranée et même plus haut sur le continent européen. Leur source d'inspiration a été, pour chacun d'entre eux, leurs propres sociétés, c'est-à-dire leur vivier naturel. Pourquoi voudrait-on alors que la thématique de nos poètes naturels puise dans les sources orientales ? Pourquoi voudrait-on que nos poètes doivent traiter d'autre chose que ce qui les aurait inspirés directement et naturellement ? L'arabisation, utilisée comme outil idéologique, a plus fait dans la transformation de la personnalité culturelle algérienne qu'elle ne l'a épanouie. À force d'invention de poètes polissons et d'importation de quelque poésie sans prise sociale, imposée par le canal de l'école, alors la pensée “algérianiste” s'est dulcifiée peu à peu dans le temps jusqu'à l'indifférence. Pourtant, les vers des Ssi Mouhand Oumhend, Ben Mseyyeb, Ben Triki, Ben Sahla, Lakhdar Ben Khlouf, Youcef Ouqasi, Chikh Mouhand et bien d'autres, injustement déviés de notre environnement culturel, sont conservés, célébrés et chantés dans la société profonde pendant qu'aucune structure scolaire, culturelle et universitaire ne porte leur nom. C'est un crime culturel de n'avoir pas imprégné notre jeunesse de tant de vers qui enseignent la sociologie et l'histoire du pays. Un gâchis incommensurable. A. A. ([email protected])