Inquiétude, illisibilité, blocage ; le constat de la situation économique dressé, hier, par des experts et des opérateurs économiques, lors d'une rencontre organisée à l'hôtel El-Aurassi par le Forum des chefs d'entreprise, donne froid dans le dos. Le témoignage pathétique du patron de Modern Ceramic, M. Omar Ramdane, désigné récemment sénateur du tiers présidentiel, renseigne sur le désarroi des chefs d'entreprise, malmenés par les dernières mesures du gouvernement sur le commerce extérieur et l'investissement. “Personnellement, je suis inquiet pour mes activités, inquiet pour l'économie du pays mais également pour mon pays”, a alerté M. Omar Ramdane, insistant sur l'absence de perspectives et de lisibilité. “Quand l'Algérie était à feu et à sang j'ai investi, je n'ai pas eu peur d'investir, et ils sont nombreux dans cette salle qui ont fait de même. Actuellement, c'est le blocage total. On est surpris par une avalanche de mesures qui font que je ne possède plus les éléments de la gestion de mes activités, une liberté que je pensais acquise depuis maintenant deux décennies. Or, ce n'est pas le cas”, regrette-t-il. Le président du Forum des chefs d'entreprise, M. Réda Hamiani, estime que les dernières orientations de la politique économique publique, loin d'aider à simplifier l'environnement de l'entreprise, s'acharnent au contraire à la parsemer à chaque fois de nouveaux obstacles. Aux yeux du président du Forum des chefs d'entreprise, “le retour vers des pratiques centrées sur la restriction administrative de l'acte de commerce comme de l'acte d'investir est une fausse solution, qui ne fait que limiter chaque jour un peu plus une offre nationale déjà insuffisante, tout en favorisant le gaspillage de ressources rares, tirées des hydrocarbures”. Le président du FCE indique que le gonflement exponentiel du budget d'équipement de l'Etat, les dépenses d'équipement public qui sont passées d'un volume annuel de 453 milliards de dinars en 2002 à 2 814 milliards en 2009, ne profite que marginalement à l'entreprise algérienne et, par conséquent, ne produit que peu de résultats en termes de croissance de l'économie nationale. Son seul effet marquant est celui d'une explosion sans précédent du niveau des exportations. “Nous avons tous effectivement noté avec beaucoup de préoccupations comment notre pays est passé en quelques années seulement d'un niveau des importations de marchandises, qui se situait entre 10 à 12 milliards de dollars, à près de 40 milliards de dollars. Au cours de la même période, les importations de services sont passées de 2 à 3 milliards de dollars à près de 11 milliards de dollars”, reconnaît le président du FCE. Mais, estime-t-il, si ce niveau d'importation est en soi une source de préoccupations, il n'en demeure pas moins que cette explosion de la facture des importations est directement liée à l'augmentation de la facture sans précédent du niveau des dépenses d'équipement du budget de l'Etat. Le FCE, a rappelé M. Hamiani, n'a pas cessé, depuis sa création en 2002, d'alerter les pouvoirs publics sur les quelques précautions quant aux conditions d'ouverture de l'économie. Le temps a fini par donner raison au FCE. M. Omar Ramdane rappelle la position du Forum sur la loi des hydrocarbures. “Aujourd'hui, quand nous disons pourquoi vous ne nous écoutez pas, pourquoi il n'y a pas de concertation, pourquoi vous n'appuyez pas l'entreprise algérienne, on nous accuse de rentiers et ils nous soulèvent même la question de nationalisme. Le nationalisme, c'est d'aimer l'Algérie et les Algériens. C'est travailler pour que ce pays soit prospère. Tout le reste ce ne sont que des slogans”, argue M. Omar Ramdane. Le régime actuel de croissance n'est pas bon Chiffres à l'appui, le professeur Bouzidi a bien montré la vulnérabilité de l'économie algérienne. “Le régime actuel de croissance n'est pas bon”, a-t-il relevé. Il est extensif, reposant sur l'injection massive de capital et de travail. La croissance est coûteuse et le retour sur l'investissement est faible. Elle est éphémère, dépendant de ressources financières volatiles et non renouvelables. “La croissance s'arrêtera quand ces ressources diminueront”, a averti le professeur Bouzidi. Analysant les moteurs de croissance qui sont l'investissement, la consommation, les exportations, la dépense publique, le professeur Bouzidi a démontré que la croissance algérienne est surtout portée par les dépenses publiques. En 2009, l'investissement public est évalué à 48%, l'investissement privé à 15% et les investissements à 1%. Sur 4 228 projets inscrits auprès de l'Andi, 5% seulement sont réalisés, 10% en cours de réalisation. Ce sont des petits projets de 25 millions de dollars en moyenne. 53% des projets sont en autofinancement. Le taux d'investissement public entre 2005 et 2009 est estimé à 10% du produit intérieur brut. Alors qu'il n'était que 6% du PIB en 1991. “On coule du béton”, a ironisé M. Bouzidi. La contribution de la consommation à la croissance est faible. L'Algérie exporte essentiellement des hydrocarbures (98%). Les exportations des produits industriels finis sont évaluées à 78 millions de dollars. Les exportations des produits alimentaires (dattes, vins, eaux minérales, crevettes) sont aussi estimées à environ 87 millions de dollars. Notre pays n'exporte que 184 produits, alors que la Tunisie exporte 1 193 et le Maroc 1 120. “Voilà un quadrimoteur qui ne fonctionne qu'avec un seul moteur”, regrette M. Bouzidi, ajoutant que les incitations qui, dans une économie normale, permettent de fabriquer la croissance robuste ne fonctionnent pas en Algérie. “Si l'on continue comme ça, on va aller droit dans le mur”, a averti le professeur Bouzidi. M. Mouloud Hédir partage l'analyse du professeur Bouzidi. “La croissance économique est insuffisante”, a-t-il constaté, s'appuyant sur les diagnostics des experts du MIPI, de l'ancien ministre des Finances M. Abdelatif Benachenhou, et du FMI. Selon les experts du MIPI, une des raisons de l'inefficacité de l'investissement national est celle du manque de visibilité que rencontrent les acteurs sur le terrain. M. Benachenhou, lui, a mis en garde contre le retour aux gestions du passé, aux tentations protectionnistes et à l'attrait de la dépense facile et du gaspillage des ressources publiques. Le FMI, dans son dernier rapport, dit que l'Algérie est l'économie la moins compétitive où le climat des affaires est le plus mauvais et le système financier le plus inefficace. M. Hédir a surtout mis l'accent sur une situation paradoxale pour un pays en développement. Selon les chiffres de la Banque d'Algérie, pour 5 162 mds de DA collectés, seuls 2 614 mds de DA sont employés. 50% des ressources bancaires sont gelés, faute de projets, s'interrogeant s'il y a carence de projets d'investissement ou carences du système bancaire. “Ce simple constat renseigne sur le décalage entre les besoins de l'économie nationale et le cadre général de régulation de l'investissement”, estime-t-il. Le FCE appelle à un dialogue constructif Le président du FCE a appelé à renouer avec le dialogue plus fructueux, constructif autour des solutions qui permettent à la production nationale de décupler ses capacités et de mieux contribuer à la satisfaction d'une demande nationale en constante augmentation. “La politique économique nationale a besoin d'être plus consensuelle”, a estimé M. Hamiani.