La célébration de la journée de Youm el ilm revêt un caractère particulier cette année. À un moment surtout où la mémoire ankylosée se caractérise par la curieuse et inéluctable impression de vouloir sortir de sa torpeur pour donner subrepticement naissance à quelques sérieuses remises en cause de pans importants de l'anthologie de la falsification et de la dissimulation. Force est de reconnaître, en effet, que la production historique, idéologique et sociologique relative au mouvement national a, jusqu'à une date récente, effacé ou voué au silence des pans importants de la mémoire collective. Alors que militants et mouvements politiques ne sont pas appréciés en fonction de la place qu'ils ont occupée, mais en fonction de ce qu'ils sont devenus, s'il est permis de paraphraser ainsi Mohammed Harbi : “Le remodelage du passé à l'image du présent devient alors chose courante.” Pour le sociologue Kamel Bouguessa, les attitudes de certains chercheurs et celles de témoins oculaires convergent pour alourdir ce climat. Il sait de quoi il parle, car au cours des enquêtes et des recueils de témoignages réalisés par ses soins, les réactions d'un certain nombre de militants et de dirigeants nationalistes ont bien montré l'importance des discontinuités et des silences qu'ils ont opposés à ces questions. Parmi ces silences, il est aisé de citer le rôle joué par le mouvement soufi dans la création, à La Casbah d'Alger le 5 mai 1931 au siège de Nadi et Taraqi, de l'Association des oulémas musulmans algériens et la dimension mystique de l'œuvre de cheikh Abdelhamid Ben Badis, son premier président. Contrairement aux idées reçues, du reste injustement relayées par quelques commis de l'idéologie dominante, le mérite de la création de l'Association des oulémas revient grandement à un comité fondateur d'inspiration soufie présidé par Omar Smaïl, un notable algérois. Du reste, avant la crise qui allait sérieusement ébranler ce mouvement naissant, la composante de son comité directeur reflétait grandement le climat de tolérance et l'esprit de cohésion de toutes les forces en présence. Qu'on en juge, et sans commentaire, certains noms sont ressassés, curieusement d'une seule région (les cheikhs Abdelhamid Ben Badis, Mohammed el Bachir el Ibrahimi, Tayeb el Okbi, Mohamed el Amine el Amoudi, M'barek el Mili), d'autres jamais portés à la connaissance du peuple algérien (Ibrahim Bayoudh, El Mouloud el Hafidhi, Moulay Ibn Acharif, Tayeb el Mahadji, Saïd el Yadjri, Hacène Trabelsi, Abdelkader el Kacimi ou Mohammed Foddil el Yaratini. En d'autres termes et contrairement à ce qui est fréquemment soutenu, le mouvement réformiste religieux en Algérie ne fut pas créé ex nihilo par son aile wahhabite. La fin du XIXe et le début du XXe siècles virent, en effet, naître l'émergence d'intellectuels réformistes représentés par un groupe d'oulémas et d'enseignants de valeur à Alger, Constantine, Tlemcen, Ghardaïa et ailleurs, à l'image des cheikhs El Medjaoui, Abdelhalim Bensmaïa, Benali Fekhkhâr qui, tout en condamnant les pratiques obscurantistes d'un certain nombre de confréries religieuses et de personnages considérés comme saints, en raison de leur piété ou de leur ascendance, n'ont pas manqué de fustiger la mainmise de l'administration coloniale sur le culte musulman. C'est cette même ligne, portée merveilleusement et courageusement par cheikh Abdelhalim Bensmaïa qui va s'opposer, en 1903, à la fetwa de cheikh Mohammed Abdou, invité en la circonstance à Alger par la caste coloniale, pour légitimer le service militaire obligatoire… Le cri du cœur de cheikh Abdelhalim Bensmaïa (un grand savant dont curieusement aucun espace ne porte le nom, y compris à Alger, sa ville de toujours) eut un écho considérable à travers le pays, à Tlemcen particulièrement où l'imam Chalabi invita, en 1911, des familles entières à prendre le chemin de l'exil… A. M. [email protected]