Nos grands hommes, nos hommes de science doivent-ils nous servir d'alibi pour travestir la réalité? Le 16 avril permet en fait de commémorer un double anniversaire: celui de la naissance et de la disparition du cheikh Abdelhamid Ben Badis. Leader incontesté et reconnu de la renaissance de la pensée spirituelle en Algérie. Il s'est illustré dans la défense de l'identité arabo-islamique du peuple algérien. Il a opposé une farouche résistance aux tentatives d'acculturation que le colonialisme français a tenté vainement d'imposer à la nation algérienne en gestation. Que nous reste-t-il aujourd'hui de cet héritage, de ce message? Des cérémoniaux qui ne manquent aucune occasion pour gaver des auditoires entièrement acquis qui ne servent en réalité que l'intérêt de leurs initiateurs. Autosatisfaction et nombrilisme ne peuvent que trouver leur compte et une superbe occasion pour cohabiter. L'Algérie célèbre aujourd'hui Youm El Ilm en grande pompe. Comme tous les ans. Une opportunité pour certaines associations d'afficher leurs bilans. Les médias aidant, leur action louable, à l'origine, se transforme en réalisation exceptionnelle. Plus de 500.000 Algériennes et Algériens sont inscrits en classes d'alphabétisation, nous annonce-t-on à l'occasion de cet événement. La célébration de Youm El Ilm, cette année, a donné lieu à une conférence organisée par le club de la presse du Front de libération nationale à Alger. Une tribune pour le directeur de l'Office national d'alphabétisation, M.Mohamed Tahar Bekkouche. Ce dernier a déclaré que «les classes d'alphabétisation comptent cette année 526.278 inscrits». Le secrétaire général de l'instance exécutive du Front de libération nationale, M.Abdelaziz Belkhadem a présidé la clôture des travaux de cette conférence. Plusieurs femmes y ont été honorées. 7 millions d'analphabètes étaient recensés officiellement il y a à peine quelques années en Algérie. Comment commenter ces chiffres par rapport à l'événement d'aujourd'hui: la célébration de Youm El Ilm? Savoir lire, écrire et compter ne serait donc pas l'apanage de tous les Algériens, de toute la population algérienne? Encore une autre forme d'inégalité que l'on ne commente que rarement, à l'occasion, comme aujourd'hui. Serait-ce une autre plaie à cacher? Un tabou peut-être qui cacherait mal d'autres maux et en l'occurrence, l'échec scolaire qui a donné naissance aux hittistes puis au harragas. Le savoir s'acquiert à l'école primaire, au lycée, pour se poursuivre dans les universités et les grandes écoles. C'est le schéma classique de l'acquisition du savoir. Un savoir, qui se veut universel, qui fait la part belle à la tolérance, au respect d'autrui et des biens d'autrui. Un des baromètres qui peut renseigner sur le niveau de développement atteint par un pays est, sans conteste, le civisme. Le savoir-vivre c'est le respect des codes et des lois qui règlent le quotidien des citoyens. Qu'en est-il de l'Algérie? Les rues des villes sont jonchées d'ordures, on y crache à tout bout de champ. Il n'existe plus de trottoirs pour les piétons. Les transports n'offrent même pas le minimum pour transporter convenablement les voyageurs...Le savoir doit être au service de la collectivité et des institutions. Leur relation interactive doit leur permettre d'entretenir des relations épanouies. Aucun de ces critères ne caractérise la société algérienne. Nos grands hommes, nos hommes de science doivent-ils nous servir d'alibi pour travestir la réalité? Dans ce cas, autant ne plus célébrer Youm El Ilm et rendre à Abdelhamid ce qui appartient à Ben Badis.