Contrairement aux idées reçues, savamment relayées par quelques historiens de circonstance, le Nadi Et Taraqi n'a pas été créé par l'Association des Oulémas. Loin s'en faut ! Le mérite de cette création revient exclusivement à la bourgeoise citadine algéroise et aux familles Benouniche, Benmerabet, Bensmaïa, Mouhoub, Bensiam, Mansali, Hamoud, Bellil… qui, en 1927 (née le 6 mai 1931 l'Association des réformistes musulmans n'existait donc pas encore), avait décidé de se doter d'un cadre organique pour lutter contre le charlatanisme et les velléités assimilationnistes de la caste coloniale. L'option prise au départ pour un parti politique s'est vite transformée, à l'instigation de Tewfik El Madani, en un cercle culturel. Un espace qui allait regrouper toutes les associations culturelles et sportives avec à leur tête le Mouloudia Club d'Alger. Ces mêmes familles feront appel en 1928, à la suite d'un compte-rendu fait par le doyen des clubs algériens sur son déplacement à Biskra, à Cheikh El Okbi pour animer le cercle. Connu par son argumentaire particulièrement incisif sur la naturalisation et le charlatanisme, le cheikh fut vite adopté et entièrement pris en charge par ses mêmes familles auxquelles il faut rendre un vibrant hommage. C'est un peu dans cette ambiance que naîtra l'Association des Oulémas dont le premier président, Cheikh Abdelhamid Ben Badis (plébiscité sur proposition de Cheikh Omar Smaïl), était un habitué des milieux algérois dont les muphtis Sidi Ammar, Sidi Benali, Menguellati et Mohammed Ben Chahed détenaient un inestimable répertoire de mouloudiate composées essentiellement par des poètes algériens, presque tous musicologues ou musiciens. Encore jeune, se plaisait à confier Mahieddine Bachetarzi, il eut souvent le plaisir, entre 1914 et 1924, d'assister au mausolée de Sidi Abderrahmane et-Thaâlibî et à Sidi M'hamed à la venue, à l'occasion de la célébration du mawlid en-nabaoui, de quessadine de Constantine avec, à leur tête, cheïkh Abdelhamid Ben Badis, notamment en 1921 et en 1924. Des dates révélatrices du degré élevé de tolérance affiché par les hommes du culte de la ville de Sidi Rached régulièrement représentée à Alger par une chorale placée sous la direction artistique des Cheikhs Mustapha Bachetarzi et Mahmoud. Conforté sur le plan mystique par les thèses de la Tariqa Tidjania, dont le fondateur a été initié à l'illumination soudaine au mausolée de Sidi Abderrahmane Et Taâlibi, Cheikh Abdelhamid Ben Badis était un esprit au-dessus de la moyenne, un génial organisateur. Il était admirablement servi, souligne l'historien Ali Merad, par des qualités morales qui le plaçaient nettement au-dessus des lettrés qui travaillaient à ses côtés pour l'idéal réformiste : " Sa foi, d'abord, était extraordinaire. Ses disciples et ses mais voyaient volontiers en lui un mystique, d'autres un saint, on n'hésita pas à le comparer à un prophète. " De l'action de cheikh Abdelhamid Ben Badis, le penseur Malek Bennabi retint en premier lieu sa lutte pour la préservation de l'identité algérienne arabe et musulmane. Afin de préserver cette identité, estimait-il, le fondateur de l'association des Oulémas dénonça la politique assimilationniste de l'Etat français qui visait à faire des Algériens des Français. En avril 1936, cheikh Ben Badis répondit au propos de Ferhat Abbas dans la revue Ach-Chihab, en affirmant : " Nous aussi nous avons cherché dans l'histoire et dans le présent, nous avons constaté que la nation algérienne musulmane existe. Le peuple musulman algérien n'est pas la France, il ne peut pas être la France, il ne veut pas être la France, il ne veut pas l'être et, même s'il le voulait, il ne le pourrait pas, car c'est un peuple très éloigné de la France, par sa langue, ses mœurs, son origine et sa religion." En cela, il était la figure même de la résistance culturelle à la colonisation et à sa politique assimilationniste en ce faisant le défenseur de l'identité spécifique de l'Algérie. A. M. [email protected]