L'histoire de la médecine algérienne a enregistré, le 31 mars dernier, le troisième cas de greffe d'organe à partir d'un donneur cadavérique, effectué au CHU de Blida. L'opération a été réussie surtout grâce à la générosité des parents, qui ont transcendé la douleur de perdre leur garçon unique (à peine 17 ans), en acceptant de faire don de ses deux reins. Différents services du CHU se sont attelés à mener à bien ces interventions. L'événement alimente encore les discussions du personnel médical du CHU Frantz-Fanon de Blida. Le fait est, certes, assez inédit. L'établissement hospitalier vient d'enregistrer le troisième cas de transplantation d'organe à partir d'un donneur cadavérique, de toute l'histoire de la médecine algérienne. En novembre et décembre 2002, quelques semaines à peine après la promulgation de l'arrêté ministériel n° 30 et 34 du 19 novembre 2002, qui fixe les conditions et critères permettant la constatation médicale et légale du décès et la possibilité de prélever des organes à partir du cadavre en vue de leur transplantation, six patients ont bénéficie, à Constantine, d'organes prélevés sur deux morts. À l'époque, des milliers de malade, en attente d'une greffe d'organes sans avoir de donneurs vivants potentiels, ont entrevu un signe du destin qui allait les délivrer de leurs souffrances. L'espoir s'est atténué, toutefois, peu à peu au gré des années, jusqu'à disparaître presque totalement. Et voilà que l'équipe du Pr Si-Ahmed El Mahdi, chef de service de chirurgie générale au CHU de Blida, et nombre de ses confrères d'autres spécialités, font renaître l'espoir en parvenant à greffer deux insuffisants rénaux à partir d'un donneur cadavérique. “C'est un acte ponctuel qui a été précédé par de lourdes actions”, souligne le Pr Si-Ahmed, qui préfère mettre d'abord à l'honneur la générosité de la famille avant de parler de l'organisation du corps médical. “Le père et la mère nous ont donné une leçon de patience, de courage et de générosité”, témoigne le praticien. Il leur était, pourtant, difficile de surmonter la douleur de perdre leur garçon unique, âgé à peine de 17 ans, victime d'un accident de la voie publique. “L'adolescent a été opéré. L'équipe du service de neurochirurgie a tout tenté pour le sauver. Malheureusement, il n'y avait rien à faire”, soutient-il. Dès lors, il entreprend de réunir le comité des sages de l'hôpital, composé d'un imam, d'un psychologue et de médecins, pour demander aux parents s'ils consentent à faire don d'organes de leurs fils. Au préalable, il fallait établir rapidement les documents attestant de la mort encéphalique du jeune homme. Deux électroencéphalogrammes de 30 minutes, espacés de quatre heures, sont effectués sur le patient pour confirmer l'arrêt de toutes les activités du cerveau. Le certificat de décès est paraphé par plusieurs médecins, dont ceux en charge des soins prodigués sur l'accidenté. C'est munis de ces documents réglementaires et armés d'arguments puisés dans le Coran et présentés par un imam que la famille est approchée. “Les parents ont constaté le dévouement du personnel de neurochirurgie. Ce qui a facilité l'acceptation”, affirme le Pr Si Ahmed. Sitôt l'accord verbal est obtenu, il a été traduit par écrit. “Nous avons l'obligation de laisser des traces administratives”, explique notre interlocuteur. Puis la machine s'est mise en branle pour faire bénéficier rapidement deux insuffisants rénaux du don des parents de l'adolescent décédé. “L'activité de la greffe à partir d'un cadavre nécessite une organisation complexe. Nous avons eu la chance de parvenir, au niveau du CHU de Blida, à une coordination entre différents services”, soutient le chirurgien, qui cite pêle-mêle la neurochirurgie, la neurologie, la biologie, la médecine légale, la néphrologie, la réanimation, la radiologie, le Centre de transfusion sanguine… et l'administration. Le mort est pris en charge, d'un côté, pour garder l'activité cardiaque en administrant des médicaments et maintenir la viabilité des organes à prélever en les oxygénant. Des examens sont faits, en parallèle, pour s'assurer qu'il ne souffre pas de maladies dangereuses pour le receveur, car il s'agit de lui offrir un “organe fonctionnel et sain”. De l'autre côté, les néphrologues cherchent, dans une liste de 200 insuffisants rénaux, 100 donneurs vivants recensés dans la wilaya de Blida et les villes limitrophes, ceux qui sont les plus compatibles avec le donneur sur le plan immunologique. “Nous avons contacté trois patients qui répondaient aux critères, lesquels nous avons soumis à des bilans complémentaires”, rapporte Dr Kastali, néphrologue. La majorité des patients, mis sur le registre de l'hôpital de Blida, ont été déjà explorés en vue de la présentation d'un éventuel donneur. “Nous avons distribué un livret du dialysé, élaboré sous l'égide du ministère de la Santé, qui est un véritable guide pour le corps médical et les malades”, indique Pr Si-Ahmed. L'état de santé des deux receveurs de reins évolue jusqu'alors positivement. Ce qui augure, selon le Dr Kastali, d'un avenir plutôt prometteur pour le prélèvement d'organes sur un cadavre. “Un mort peut sauver quatre personnes et améliorer le confort de vie de dix autres. La famille ne constitue pas vraiment une contrainte, pour peu que tout soit fait pour sauver la vie du patient et qu'on lui explique bien la procédure. La transplantation d'organes ne souffre pas de problème technique. Elle est maîtrisée en Algérie. Il reste à mettre en œuvre une politique de greffe d'organes, parce que c'est un domaine où toutes les spécialités médicales forment les maillons d'une chaîne complexe”, commente le Pr Si-Ahmed. Il rappelle, à ce titre, la création, au sein du CHU de Blida, de l'Institut national du rein et de la greffe d'organes, recommandée par le président de la République. “Le bâtiment sera réceptionné à la fin du mois de décembre prochain. Un professeur en néphrologie a été désigné, par la tutelle, comme chef de projet pour identifier les besoins en équipements”, poursuit-il. Malgré les efforts fournis aussi bien par les autorités que par les professionnels de la santé, la transplantation d'organes est quasiment au stade zéro en Algérie. Depuis 1986, date qui marque la première greffe rénale réussie au CHU Mustapha, près de 500 transplantations de reins ont été réalisées dans le pays. Ce qui représente moins de 5% de la demande réelle, eu égard au 13 000 dialysés dénombrés. Les patients en attente d'une greffe de la cornée, du poumon, du cœur ou autre organe, risquent de patienter encore très longtemps en raison de la rareté des donneurs cadavériques.