L'Algérie s'est trompée de modèle pour analyser un programme sectoriel, nous avons besoin de références. Celles-ci s'obtiennent en examinant les recherches et les expériences de divers pays. Hors, nous avons des règles, des principes généraux qui sont des sortes de guide en la matière. Il y a quelques différences minimes entre les conceptions de stratégies d'entreprises et celles relatives aux secteurs d'activités. Certaines firmes internationales sont tellement complexes que leurs stratégies relèvent de formes multiples et interconnectées. Pour revenir à notre cas, sachez que même si l'on peut apporter d'innombrables réserves à notre stratégie industrielle, les responsables de sa conception ne pouvaient rester les bras croisés face à la désindustrialisation du pays et à l'absence d'un schéma économique national cohérent. Ils ont tenté quelque chose. Ils ont le mérite d'essayer dans un environnement hostile. En règle générale, il ne peut y avoir de stratégie industrielle sans stratégie globale. La nature nous offre un bel exemple de cohérence. Le corps humain grandit en respectant des proportions précises. On ne peut avoir un bras qui se développe plus que le reste des membres. Pour cela en stratégie, on essaye d'ordonnancer le développement de différents secteurs afin d'établir les cohérences nécessaires. Par exemple, la formation et les recyclages viennent en premier, la modernisation des modes de management des entreprises et des institutions d'appui en second. Les investissements, les partenariats et autres sont programmés par la suite. Mais lorsque la stratégie est uniquement sectorielle, l'enseignement supérieur et les banques peuvent ne pas être prêts, les systèmes de management d'entreprises peuvent être en retard. Même si la stratégie est bonne, le fait qu'elle soit un acte isolé au sein d'une diversité de pratiques qui ne convergent pas la condamne à l'échec. Il y a énormément de secteurs où l'Algérie peut être présente car le monde n'est jamais fait une fois pour toutes. De multiples secteurs peuvent être contemplés : TIC, biotechnologie, industries vertes, tourisme, agriculture méditerranéenne, électronique et informatique. Mais pour cela, il y a lieu d'identifier les facteurs-clés de succès de ces activités, déterminer si nous avons un potentiel d'être parmi les meilleurs dans ces domaines, et travailler dur à mettre en œuvre ces conditions de réussite : formation, modernisation managériale, architecture institutionnelle, financement, débureaucratisation des processus, politique de développement actif du secteur support de la stratégie (PME/PMI). Mais alors, quel est le problème de fond de la stratégie industrielle telle qu'elle est conçue actuellement ? Pour comprendre ses défaillances, on fait appel au fameux concept de “pyramide économique”. Toute économie peut être vue comme une pyramide comprenant trois niveaux : 1- Les fondamentaux de base : ils constituent les piliers, les fondations sur lesquels est édifiée une économie. Ils sont les fondements de la puissance d'une nation. Ce sont les qualifications humaines, la motivation au travail, le degré d'entrepreneurship, la recherche et le développement, la maîtrise technologique, le management, l'intelligence et l'information économique et la capacité du pays à développer et utiliser les qualités de sa population. Le premier facteur-clé de succès de toute économie demeure la qualification et l'utilisation efficiente des ressources humaines. Le second a trait au management de l'information. 2- Les politiques sectorielles : ce sont les politiques de logement, de la santé, de l'éducation, du tourisme, etc. Elles peuvent être adoptées pour apporter des correctifs aux fondamentaux de base. Souvent, elles font partie des programmes de gouvernement. 3- La macroéconomie : ce sont les politiques monétaires, budgétaires, de taux de changes, etc. Ce sont des décisions transversales, qui concernent l'ensemble des secteurs et des agents économiques. Il est évident qu'il y a des interfaces et des interconnexions importantes entre les trois niveaux. La séparation obéit uniquement à des considérations pédagogiques. Elle nous sera très utile pour expliquer certaines insuffisances de politiques économiques. En analysant ces trois niveaux, on peut saisir les disparités entre, d'un côté, les caractéristiques des pays à économie de marché et, de l'autre, celles des formations en transition ou en voie de développement. Tout au long de leur parcours, les nations développées sont arrivées à bâtir des fondamentaux de base solides et compatibles avec les exigences de fonctionnement normal d'une économie de marché. Les éléments sont toujours perfectibles, la dynamique du changement y est intégrée. Parfois, de sérieux problèmes subsistent. Mais leur longue histoire économique, les succès et erreurs obtenus après maints tentatives et tâtonnement leur ont permis d'échafauder une structure de base cohérente et dynamique. Les défis les plus sérieux demeurent au niveau macro-économique. Les récents dommages financiers — conséquence de la crise des subprimes — constituent un bel exemple. Parfois, les préjudices macroéconomiques ont leur origine dans les dysfonctionnements des fondamentaux. Les pays sous-développés ou les pays en transition ont d'autres priorités. Les équilibres macroéconomiques doivent être maîtrisés : déficit budgétaire, inflation, balance des paiements et investissement. Parallèlement à ces politiques globales, ces pays ont surtout besoin de transformer rapidement et prioritairement leurs fondamentaux de base : système éducatif, management, système d'information, requalifications humaines, mobilisation des énergies de tous. Les politiques macro-économiques ne donnent guère de résultats dès lors que les fondamentaux microéconomiques sont déstructurés. En fait, un bon ordonnancement des réformes consiste à privilégier le bas : travailler en profondeur les institutions, les comportements et les interactions à la base. Il faut y consacrer plus de temps et de ressources à cette dimension. Ceci explique pourquoi les réformes chinoises ont débuté par les qualifications humaines à tous les niveaux, puis par une forte décentralisation dans les régions ciblées. On a travaillé en priorité les fondamentaux avant de s'attaquer aux infrastructures et aux politiques des IDE. Les milliers d'universités et d'instituts créés témoignent de l'effort gigantesque accompli dans ce domaine. Plusieurs pays font fi de cette distinction. Ils commencent à copier les politiques des pays développés en oubliant qu'ils ne sont pas dans le même contexte. L'Algérie en est un parfait exemple. Le pays a mobilisé des ressources gigantesques pour combler le retard en matière d'infrastructures et réduire le chômage. Bien évidemment, ce plan s'inspire de la théorie keynésienne. On oublie que toute théorie a des hypothèses. Si ces dernières ne sont pas satisfaites, on risque de l'utiliser hors contexte. La thérapie keynésienne est très précieuse pour une économie de marché. Elle a contribué à sauver les économies avancées des dépressions et de multiples récessions. Elle constitue une avancée considérable dans les sciences sociales. Mais elle donne des résultats minables pour les pays sous-développés et en transition à l'économie de marché. La stratégie industrielle fait exactement les mêmes erreurs. Elle est basée sur des hypothèses suivantes (irréalistes pour l'Algérie) : 1- l'économie a des fondamentaux microéconomiques solides : management efficace des entreprises, esprit d'entrepreneurship évolué, bonne gouvernance publique. Le bas de la pyramide ne pose pas de sérieux problèmes ; 2- les politiques sectorielles sont cohérentes et ne sont pas la source des dysfonctionnements économiques ; 3- le problème se situe au niveau macroéconomique et au niveau des politiques sectorielles ; 4- les entreprises économiques connaissent une sous-utilisation des capacités, conjoncturelle, due à une insuffisance de la demande. Les entreprises sont capables d'utiliser rapidement et efficacement leurs capacités non utilisées. Nous voyons bien que ces hypothèses sont bien loin de la réalité des contextes des pays en transition, surtout celui de l'Algérie. La stratégie industrielle n'est pas l'ordonnance qu'il faut à notre pays. Nous nous sommes trompés de modèle, de diagnostic et donc de schéma thérapeutique. Les pays développés doivent se soucier surtout de gérer le niveau macroéconomique. Les pays en transition doivent surtout manager leurs institutions, leur niveau microéconomique. La pyramide économique nous permet de saisir et d'interpréter la qualité des politiques économiques d'un pays. Force est de constater que nous avons erré au-delà de l'imaginable. Ceci explique pourquoi malgré une mobilisation excessive de ressources, l'économie hors hydrocarbures peine à se matérialiser. Pour arriver à cet ambitieux résultat, nous devrions transformer nos entreprises en entités créatrices de richesses. La stratégie industrielle fait exactement la même erreur d'analyse que celle des pays qui peinent à se développer. Elle s'attaque aux politiques sectorielles en agissant très peu sur les fondamentaux de base. Pour cela, elle a des chances minimes de réussir. A. L. (*) Docteur en économie