Dans toute guerre, il y a un gagnant et un perdant, un dominant et un dominé, une victime et un bourreau. Il est très difficile de sortir indemne après avoir subi les frasques et les ignominies du conflit armé, mais lorsque celui-ci est commis par les membres de la même communauté, le drame est encore plus grand. Le génocide du Rwanda de 1994, conséquence d'une confrontation entre les Hutus et les Tutsis, a marqué l'histoire du vingtième siècle et ébranlé les hommes. Horrible serait un faible mot pour décrire et exprimer sa violence et sa cruauté. Le génocide du Rwanda restera à jamais dans l'esprit des Rwandais. Ils tentent, encore aujourd'hui, de comprendre cette violence qui a poussé deux peuples à s'entretuer, à basculer dans une violence innommable et sans limites. Ils sont chanteurs, comédiens, dramaturges et écrivains rwandais et tous cherchent des réponses à des interrogations multiples. Ils ont comme une mission. Un devoir. Un devoir de mémoire. Parmi eux, le jeune et talentueux auteur, Gilbert Gatore, qui a signé le Passé devant soi, un roman de 200 pages, passionnant et terrible à la fois. Sorti d'abord en France en 2008, ce roman a été publié en Algérie, en septembre 2009, grâce à l'initiative des éditions Chihab, qui nous offrent à chaque fois la possibilité de découvrir des auteurs, d'ailleurs, pourtant si proches de nous et de nos questionnements. Le Passé devant soi s'articule autour de deux histoires, de deux niveaux de narration, de deux destins et surtout de deux processus de cicatrisation. Alors qu'Isaro, une jeune étudiante qui a fuit le Rwanda grâce à ses parents adoptifs, cherche à tout prix à se souvenir et à comprendre ce qui s'est réellement passé ; Niko, lui, fuit la société des hommes et trouve refuge dans une grotte. Tout commence lorsqu'Isaro écoute à la radio une information concernant les prisons, trop pleines, de son pays. C'est à ce moment précis que se déclenchera son obsession, et ne la quittera plus, causant même sa perte. Isaro sent une fracture en elle, mais n'arrive pas à la cerner ou à l'expliquer. Cette fracture se renforce lorsqu'elle se heurte à l'indifférence de ses camarades étudiants. Elle décide de prendre les choses en mains et retourne au pays dans l'espoir de récolter des témoignages qu'elle projette de publier dans un livre intitulé À la mémoire de…. Mais au Rwanda, personne ne veut se souvenir de cette époque, tous veulent tourner la page et vivre quelques instants de bonheur. Mais bonheur rime souvent avec insouciance, car dans la vie, il semble qu'il y ait deux choix : vivre heureux ou vivre une vie sensée. Pour la seconde possibilité, ce sont les questions qu'on se pose sur le passé et l'obsession de l'avenir qui semblent la déterminer. Isaro a choisi sa voie et son camp. De son côté, Niko a beaucoup de choses à se reprocher, lui, qui a massacré les siens, dans un état de démence, sans doute. Mais son geste l'obsède et les cadavres sont là pour témoigner de l'horreur qui vit en chacun d'entre nous et qui se manifeste souvent dans les instants de faiblesse et de peur. Niko essaie de fuir son village parce qu'il n'arrive pas à vivre avec ses vieux démons. Il s'isole donc et partage son existence avec des gorilles. À la fin du roman, on s'aperçoit que Niko n'existe pas, il est juste le personnage central du roman d'Isaro. Elle a souhaité comprendre, n'a pas trouvé de réponse auprès des siens, alors elle s'est inventé un bourreau. Mais elle ne l'a pas rendu responsable de son sort, elle a juste interrogé et su rester impartiale. Gilbert Gatore a donc construit ce roman sur deux niveaux de narration : la linéarité du récit d'Isaro, et le récit fragmentaire et numéroté de Niko. Car la pensée de Niko est brouillonne et les souvenirs remontent par flashs. Il n'a aucun contrôle sur ce dont il se souvient. L'écrivain, dont le Passé devant soi représente le premier tome d'une trilogie à venir, ne juge ni le bourreau ni sa victime. Il ne cherche pas à expliquer tel acte ou tel geste, il veut juste comprendre ce qui a poussé les siens à basculer dans une violence sans bornes. Gilbert Gatore n'explique pas la repentance et ne fait pas non plus l'apologie du pardon, il semble simplement nous dire que “la guerre crée plus de méchants qu'elle n'en supprime”. Et c'est le drame de l'homme ! Le Passé devant soi, de Gilbert Gatore, roman, 200 pages, éditions Chihab, Algérie, Septembre 2009, 450 DA