Les firmes pharmaceutiques diversifient les stratégies de marketing pour mieux pénétrer le marché algérien de la contraception. L'enjeu est de taille dans un pays qui connaît un boum de naissance sans précédent, avec plus de 817 000 nouveau-nés inscrits à l'état civil en 2008. Même si la situation n'est point alarmante après de longues années de baisse importante de la natalité, le planning familial redevient à la mode. Le sous-directeur de la population, au ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, qui intervenait au XVIIe congrès de la Société algérienne de la fertilité et de la contraception – qui s'est tenu au Sheraton d'Alger les 7 et 8 mai dernier – sur la dynamique démographique actuelle en Algérie, a rajouté beaucoup d'eau au moulin de deux laboratoires pharmaceutiques, qui ont mis à contribution, à la même rencontre, des gynécologues confirmés, pour vanter les atouts de leurs marques de pilules. M. Ouali a, en effet, évoqué la progression importante du taux de natalité, en à peine une dizaine d'années. Elle est de l'ordre de 34,6%, puisque le nombre des naissances est passé de moins 500 000 à la fin des années 1990 à plus de 817 000 en 2008. “Nous pensions que c'était un phénomène de récupération par rapport à la baisse notable de la natalité dans les années 1990 (à cause du terrorisme notamment, ndlr). Mais nous constatons que la tendance à la hausse se poursuit depuis 2008”. Il est attendu, selon l'orateur, que le pays enregistre le pic de un million de naissances en 2015. “Malgré ce constat, le nombre des célibataires, aussi chez les hommes que chez les femmes restent élevé”, a conclu le cadre du ministère de tutelle. En définitive, l'Algérie compte plus de 9 millions de femmes en âge de procréer. Autant de candidates à la contraception sous ses différentes formes. À noter que la contraception n'est plus restreinte aux femmes mariées, tel que ce fut le cas dans les années 1960. À l'heure actuelle, de plus en plus de célibataires, prônant une sexualité extraconjugale, sont incluses dans le contingent de celles qui souhaitent à tout prix éviter une grossesse indésirable et surtout inopportune et adoptent, par conséquent un moyen de contraception. Dans ce contexte, l'usage de préservatifs, qui sont en vente libre dans les pharmacies, est particulièrement recommandé. Selon les statistiques fournies par le ministère de tutelle, plus de 62% des femmes, en âge de procréer, ont recours à un moyen contraceptif, contre seulement 7% durant la décennie 1970. “La contraception a permis de sauver la vie d'un grand nombre de femmes, en leur évitant des grossesses non programmées ou non désirées et par là même des situations familiales difficiles”, nous a affirmé le Dr Bettahar, gynécologue exerçant dans un hôpital à Strasbourg (France). “Pouvoir choisir le moment de la venue d'un bébé donne au couple le temps de s'organiser”, a-t-elle poursuivi. En Algérie, la pilule est le mode d'inhibition de l'ovulation le plus utilisé. Le Pr Bouzekrini M'hamed, président de la Société algérienne de la fertilité et de la contraception (Safec) a indiqué qu'environ 65% des Algériennes utilisent la contraception orale contre moins de 10% d'adeptes de dispositifs intra-utérins à l'instar du stérilet, qui induisent, pourtant, moins d'effets secondaires sur le métabolisme. La proportion de l'usage du stérilet est ramenée à 4% par le Pr Belgacem Chafi, chef du service de gynécologie au CHU d'Oran. Il se place, selon ce spécialiste, après le contraceptif oral et les autres moyens tels que les préservatifs, la méthode Ogino Knaus (abstinence sexuelle périodique) et méthode du retrait. “C'est plus facile de prescrire la pilule, car beaucoup de femmes ne sont pas disposées à mettre un stérilet ou un anneau vaginal”, a expliqué le Dr Bettahar. La pilule aura ainsi survécu à une grosse polémique, qui la mettait en cause dans l'augmentation des risques de cancers féminins, notamment celui du sein. “Elle a été diabolisée à tort. Si elle donnait des cancers, on aurait arrêté de la prescrire depuis longtemps”, a souligné notre interlocutrice. Aucune étude scientifique sérieuse n'a établi une corrélation directe entre la prise de contraception orale et la prolifération des cancers. Le Dr Lansac, du CHU Bretonneau de Tours (France), a, a contrario, soutenu, lors de son intervention au congrès de la fertilité et de la contraception, que le risque de cancer de l'ovaire est diminué de 5% par année d'utilisation de la pilule. Il n'en demeure pas moins que la contraception orale est contre- indiquée pour les femmes porteuses de HPV (human papillomavirus) positif. “Le risque du cancer du col de l'utérus est augmenté avec la durée de la prise de la pilule”, a-t-il épilogué. “Il s'agit pour nous de proposer à chaque femme, ce qui lui correspond et surtout ce qui lui convient le mieux. À 35 ans, il est impératif de réévaluer le mode de contraception utilisé jusqu'alors par la patiente, pour déterminer d'éventuelles contre-indications qui apparaissent avec l'âge”, a surenchéri le Dr Bettahar. Elle a affirmé qu'aujourd'hui, la pilule contient trois fois moins d'hormones que dans les années 1960. Elle est donc mieux tolérée et provoque moins d'effets secondaires. Lors de son exposé en plénière, la gynécologue a longuement vanté les atouts de deux produits phares des laboratoires Organon, à savoir Mercilon et Cerazette, qui seraient, selon elle, faibles en œstrogène. Ce qui réduirait, par sa conviction, les risques vasculaires et atténuerait les douleurs des règles. Elle a présenté, à ce titre, le coût économique des dysménorrhées, générées par le nombre important de jours d'absence des femmes de leur travail (en France, c'est un motif d'absence autorisé. La journée de travail est donc chômée et payée). Le groupe Bayer Shering Pharma a invité, de son côté, le Dr David Serfaty, président de la Société française de gynécologie et de la Société francophone de contraception et gynécologie, pour promouvoir sa nouvelle pilule Jasmine, nouvellement enregistrée dans notre pays. Selon le praticien, que nous avons interviewé en marge des travaux des journées scientifiques de la Safec, “Jasmine est une pilule de dernière génération, conçue pour éviter la prise de poids. Elle a aussi d'autres vertus. Elle lutte contre les syndromes pré-menstrues et les effets androgéniques. Elle contribue donc au traitement de l'acné.” Il nous a expliqué que cette pilule, qui aura bientôt 7 successeurs dosés différemment, contient de la drospirénone, proche de la progestérone naturelle. “Ce qui fait sa tolérance”, a continué le Dr Serfaty. Cette marque est commercialisée déjà dans 104 pays. Elle sera en vente dans les pharmacies, en Algérie, dans les tout prochains jours, puisqu'elle a obtenu dernièrement l'autorisation de mise sur le marché national. Il conviendrait de signaler, néanmoins, qu'elle ne sera pas remboursée tout de suite par la Caisse de sécurité sociale, et ce, comme tous les produits en lancement. “Nous devons attendre au moins une année avant qu'elle ne soit inscrite dans le registre des médicaments remboursables”, a informé le chef de projet Jasmine au sein de Bayer Shering Pharma Algérie. Le prix de cette pilule, qui se situe aux alentours de 700 DA, risque de compromettre sa diffusion dans un pays où le pouvoir d'achat des ménages ne cesse de s'éroder. “Nous avons conscience de ce problème. Mais les qualités de Jasmine justifient le prix. Ce sont les résultats de très longues années de recherche”, a précisé notre interlocutrice. “On lance le produit en direction de toutes les femmes qui recourent à la contraception. Dans six mois, nous ferons une étude pour savoir quel type de femmes a accroché. Nous réorienterons notre stratégie en conséquence”, a-t-elle ajouté. Eu égard aux faibles revenus de la majorité des familles, il est à parier que beaucoup de femmes sacrifieront la qualité pour ne se préoccuper que du prix. D'ailleurs, la majorité d'entre elles, notamment celles vivant dans les villes de l'intérieur du pays, se déplacent aux PMI (centre de protection maternel et infantile) pour recevoir leur plaquette de pilule sans devoir mettre la main au porte-monnaie. Dans ce sens, une enveloppe budgétaire de 400 millions de DA est dégagée, par le biais de la loi de finances, pour l'achat de la pilule qui est distribuée gratuitement dans les structures sanitaires publiques afin de parer aux grossesses non désirées. À contre-courant, les autorités compétentes interdisent, depuis deux ans, la commercialisation de la contraception d'urgence, plus communément connue sous l'appellation pilule du lendemain. Pourtant ce produit permettait aux femmes de rattraper l'oubli d'une prise de la pilule classique au-delà de douze heures et se prémunir contre une grossesse, qui surviendrait potentiellement après un rapport sexuel non protégé.