“Plus l'Afrique est oubliée, plus il faut la ramener au souvenir du monde”, avait déclaré à Cannes Mahamat-Saleh Haroun à propos de son film Un homme qui crie. Le cinéaste tchadien résumait d'une manière sibylline le retour fracassant des cinémas du continent sur la Croisette. Pour lui, chaque réalisateur du continent a un univers propre, une sensibilité, une écriture particulière. Même si les argumentaires peuvent se croiser à la faveur d'entrelacs qui permettent à leurs auteurs d'emprunter les mêmes références culturelles et/ou idéologiques. Dans Un homme qui crie, primé à Cannes, il rejoint en cela le cinéaste malien Abderrahmane Sissako. Surtout lorsqu'il interpelle Aimé Césaire dans la dénonciation du regard sur l'homme africain : “On est aujourd'hui dans une guerre des images où les Africains doivent trouver leur place pour imposer une représentation différente de l'Afrique dans le monde.” Pour restituer l'image fondatrice et/ou rédemptrice, il faut les moyens d'une politique, soutient l'invité tchadien, surprise de la Croisette. S'il est vrai que l'Afrique du Nord était toujours en compétition à Cannes, avec en prime une Palme d'or brillamment remportée en 1975 par Chronique des années de braise de Mohamed-Lakhdar Hamina, depuis 1987, année au cours de laquelle le prix du jury a été décerné au cinéaste malien Souleymane Cissé pour Yelen, l'Afrique subsaharienne y est absente. Est-ce un manque de talents comme le pensent certains ? La réponse de Mahamat-Saleh Haroun est nette et précise : “Non, je ne le pense pas. Parce qu'on l'a prouvé avec les Cissé, les Ouedraogo, Sissako. Je pense que le problème c'est quand même le financement de ces cinématographies. Dès lors que certains guichets qui ont l'habitude de financer nos cinémas éternuent, le cinéma africain a le rhume.” Et il n'a pas tout à fait tort, la présence à Cannes de Un homme qui crie et Hors-la-loi, les deux films d'Afrique en compétition pour la Palme d'or 2010, n'est pas le fait du hasard. La qualité des précédentes productions de Mahamat-Saleh Haroun et Rachid Bouchareb, à savoir Bye Bye Africa, Abouna, Indigènes, London River, avait donné les espoirs les plus fous… Que nenni, du moins pour le cinéaste algérien qui déchanta très vite après la levée de boucliers orchestrée par les nostalgiques d'un temps à jamais révolu. Pourtant, estiment certains confrères de l'Hexagone, Hors-la-loi est une sorte d'Indigènes bis. La continuité entre les deux sagas est totale : même lyrisme épique pour couvrir une époque, même souci de documenter historiquement la relation franco-algérienne par une fiction efficace et grand public. Les mêmes acteurs portent les mêmes noms dans les deux films : “De combattants valeureux, Saïd, Abdelkader et Messaoud sont devenus de tristes héros. Les trois frères ont pour charge d'incarner les facettes et contradictions qu'a prises en France le combat pour l'indépendance de l'Algérie.” Si nous ajoutons à cela les quelques libertés proches de la falsification de l'Histoire et les nombreux clins d'œil aux films la Bataille d'Alger de Gillo Pontecorvo, les Incorruptibles de Brian de Palma et l'Armée des ombres de Jean-Pierre Melville, les Hors-la-loi avaient tout pour plaire. Mais Rachid Bouchareb n'avait certainement pas prévu la polémique anti-repentance qui s'est développée autour de la présentation du film à Cannes et surtout son relais par le secrétaire d'Etat aux anciens Combattants. Ce qui fit dire à un confrère que malgré l'abondance de travaux d'historiens, le rapport à la guerre d'Algérie reste problématique et oppose encore Histoire et mémoire : “Le film a le mérite de contribuer à casser le mur du silence et de l'oubli dans une France bien frileuse quand il s'agit de regarder son passé en face.” A. M. [email protected]