Le millième soldat américain a été tué dans l'explosion d'une bombe vendredi dans le sud du pays, alors que la stratégie de Washington va bientôt être confrontée à un test crucial, en montant en puissance cet été. Et le bilan depuis l'entrée en fonctions d'Obama dépasse les 430 morts. Par comparaison, la guerre en Irak a pour sa part fait près de 4 400 morts dans les rangs américains. Obama, qui a renforcé le dispositif américain en Afghanistan, s'est engagé à ne pas s'y éterniser, affirmant que des soldats commenceront à rentrer dès juillet 2011. Le Pentagone qui s'attaque cet été à la reconquête de Kandahar, principale ville du Sud afghan et bastion des talibans, annonce d'ores et déjà un regain de morts dans les rangs américains. Les résidents de l'E-Ring du Pentagone et du septième étage du département d'Etat se rongent les ongles : les choses vont mal, bien plus mal que l'équipe Obama ne le fait croire. Tout va s'empirer, même le président Afghan Hamid Karzai vient d'être sermonné par la Maison-Blanche qui lui a mis les points sur les i, pour qu'il se décide enfin à réagir, à lutter contre la corruption qui a fait le lit du retour triomphal des talibans. C'est un document déclassifié de 150 pages du département de la Défense qui lance la mise en garde. Son titre : “Report on Progress Toward Security and Stability in Afghanistan”. Le document est destiné au Congrès, les médias américains se sont contentés de citer quelques lignes tirées du résumé introductif. Mais le rapport en lui-même est édifiant. Il est presque entièrement négatif, si ce n'est ses quelques petites touches d'optimisme, assez trompeuses, par ailleurs. Un sondage raconte que les Afghans estiment que la sécurité s'est améliorée ? Tout cela semble assez positif, mais ils ne sont que 22% à le déclarer. La proportion est dérisoire, même si elle est vraie. Tout le monde sait que la situation ne s'est pas du tout améliorée. Dans la même étude, le nombre de districts qualifiés par leurs habitants de “fréquemment menacés”, “dangereux” ou “peu sûrs” est passé de 58 à 72. Même Kaboul n'est plus à l'abri des coups des talibans qui est allé jusqu'à défier les forces de la coalition dans leur QG ! Les quelques îlots de sécurité qui avaient subsisté ont fondu depuis la fin de 2009 dans l'océan d'instabilité et d'insécurité. Les auteurs du rapport ne font état que de deux îlots : la ville de Mazar-e Charif, dans le Nord, et de “petites zones contiguës” près de la Ring Road, dans le Sud. Le niveau de sécurité, ajoutent-ils, est étroitement lié à la présence d'unités de la police et de l'armée afghanes bien menées et “non corrompues”. Le problème avec Karzai, reconduit grâce à un bourrage des urnes avec la complicité des Américains, les forces de sécurité afghane, il n'en existe pas. L'armée et la police nationales sont virtuelles. “Beaucoup de départs, peu de fidélisation”, “rien que des corrompus”, comme l'écrivent les auteurs du rapport. D'ici le mois d'août, des troupes de l'OTAN vont former la police afghane dans 45 des 80 districts les plus importants. Mais le rapport note que même les unités de police bien entraînées “ont régressé” après le départ des équipes de formation. En outre, si les Etats-Unis remplissent leur part du marché, le reste des alliés de l'OTAN n'envoie pas assez de formateurs. Et étant donné que plusieurs de ces alliés ont annoncé qu'ils allaient se retirer d'Afghanistan, la situation ne peut que s'empirer, avertit le rapport du Pentagone, les forces armées des Etats-Unis devant répondre au lâchage des autres pays membres de la coalition. Ce ne sera pas simple, est-il écrit dans le rapport qui souligne à l'intention des congresman que les Afghans “n'apprécient pas particulièrement nos forces armées”. L'étude révèle que les Afghans ont une “très mauvaise” opinion des Américains. C'est un sujet hautement préoccupant pour une armée dont la stratégie repose sur “la conquête des cœurs et des esprits” ! Les auteurs du rapport pensent que cette impopularité est due à l'intensification des combats et à la hausse du nombre de victimes civiles. Ils notent que 80% de ces victimes sont mortes du fait des talibans, et que le nombre de civils tués par les forces des Etats-Unis et de l'OTAN a augmenté. Cela ne suggère qu'une chose : plus les rangs de l'armée de la coalition grossiront, plus il y aura de morts dans la population. Enfin, le rapport termine sur le président afghan. Une campagne de contre-insurrection ne peut être menée à bien que si le gouvernement du pays est considéré comme légitime, tous les commandants de l'armée américaine en Afghanistan ont insisté sur ce point. Les alliés militaires de l'extérieur peuvent tuer des insurgés et protéger la population civile, mais le gouvernement afghan doit assurer sa part du travail, en garantissant les services de base et une bonne gouvernance, conclut le rapport. La mauvaise gouvernance et la dilapidation des ressources affectées au développement et au progrès sont exploitées par les talibans. C'est pourquoi, toujours selon le rapport, “les insurgés considèrent que l'année 2009 a été pour eux la plus fructueuse de toutes”. Dans les 121 districts clés du pays, la majorité des habitants, dit le rapport, ne soutient pas le gouvernement en place ! La plupart des Afghans dit “éprouver de la sympathie” pour les insurgés, sinon qu'ils se considèrent comme neutres. Le rapport n'est toutefois pas exempt de nouvelles optimistes : les talibans seraient sous pression, les offensives de la coalition ayant gagné en intensité, d'importants chefs talibans ont été arrêtés ou tués au Pakistan, et l'armée pakistanaise est de plus en plus impliquée dans le conflit.