Les médias viennent de rapporter qu'un groupe de trois terroristes a été démantelé il y a quelques jours par les services de sécurité à Boumerdès (50 km d'Alger) et qui auraient confessé projeter de commettre des attaques contre des navires étrangers au large de l'espace maritime de l'Algérie (Méditerranée occidentale). Cette information remet en scène la question que j'avais évoquée en janvier dernier, à travers ce même média, concernant les menaces terroristes de troisième génération. En effet, si Al Qaïda (AQ) a jusque-là largement préféré les actions terrestres et aériennes pour ses attaques terroristes, il semble, aujourd'hui, que cette organisation considère de plus en plus l'espace maritime comme hautement stratégique, tant en termes d'ambitions économiques (piraterie, trafic) que politico-militaires (terrorisme). Afin de répondre à la question du terrorisme maritime susceptible de menacer la Méditerranée occidentale, il est utile d'analyser les ambitions et les actions de l'organisation sur le domaine maritime, à travers deux axes majeurs : - Des motivations économiques : la piraterie et les trafics de tous genres. - Des motivations politico-militaires : les actes terroristes. Pour mieux cerner la situation actuelle, il est nécessaire de distinguer la piraterie du terrorisme maritime. Selon ma perception de la question, la motivation de la piraterie est plutôt d'ordre lucratif, elle n'a ni dimension politique ni objectifs terroristes. Cependant, les liens entre islamistes et pirates sont extrêmement étroits, voire confondus. La nature de cette accointance réside dans une sorte d'interrelation latérale sur le plan matériel. Sur le plan tactique, AQ tire profit de la médiatisation des actions des pirates et inversement, les pirates se prévalent ainsi d'une justification politique dans leurs actes de pirateries. Comme en atteste un certain nombre de rapports et d'articles, la piraterie génére un afflux de ressources financières important pouvant, de facto, alimenter certains mouvements islamistes en capitaux. L'investissement d'AQ, depuis le milieu des années 1990, dans la piraterie maritime en Somalie est de fait incontestable. Les documents, les correspondances secrètes et les actions de l'organisation révèlent clairement son intérêt très particulier pour la Somalie. Les dernières opérations de piraterie survenues au large des côtes somaliennes peuvent constituer un nouveau point de départ pour les activités d'AQ. Les cibles de ces opérations sont à la fois multiples et faciles à atteindre. Elles peuvent être des ports, des navires de marchandises, des navires militaires, des navires transportant du pétrole qui transitent d'une manière permanente par le golfe d'Aden et par l'océan Indien. Et pour cela, les moyens d'attaque et de soutien logistique ne manquent pas. En outre, et au cas où les informations révélées par les services de renseignement norvégiens se confirment, AQ posséderait déjà ou aurait sous contrôle entre 15 et 23 navires battant pavillon du Yémen, de Somalie et de Tonga. Dans ce contexte, l'appel lancé par AQ à ses partisans au Yémen donne une importance stratégique à la navigation autour de la péninsule Arabique, étant donné l'importance du trafic maritime (en volume et en valeur). Viser ces cibles est un bon moyen de pression économique. La question somalienne est, de mon point de vue, importante à étudier afin de traiter la problématique du terrorisme maritime. Dans un message intitulé “Le terrorisme maritime, une nécessité stratégique” diffusé par des sites islamistes proches d'AQ en avril 2008, il était dit clairement que des éléments armés sillonnaient, depuis plus d'un an, les côtes du Yémen dans l'espoir de piéger des navires de commerce, de transport de pétrole ou de tourisme. Ce message mettait aussi l'accent sur l'importance du contrôle de la mer d'Oman et celle du golfe d'Aden dans l'objectif de pousser “l'ennemi” à abandonner des points stratégiques et le rendre incapable de se défendre devant les frappes des éléments de l'organisation. Comme les précédents, ce message est revenu sur ce qu'il décrit comme des exploits de l'organisation comme l'attaque du navire de guerre américain USS Colde en octobre 2000 et celui du pétrolier français Limburg en 2002. Par ailleurs, certains indices, comme le détournement du chimiquier Dewi Madrim, au large de Sumatra en mars 2003, pourrait laisser croire que cette opération, suivie d'une prise d'otages sans demande de rançon, avait pour but d'acquérir l'expertise aux attaques maritimes. Ainsi, certaines informations reportées par différents rapports indiquent qu'AQ organiserait actuellement des formations en plongée sous-marine de ses recrues et adeptes. Al-Qaïda a ainsi clairement identifié le terrain maritime comme un espace propice à la mise en œuvre d'actions à finalité terroriste. En effet, suite à l'attaque du pétrolier français Limburg en octobre 2002, le bureau politique d'AQ a affirmé, dans un communiqué: “Si un bateau qui ne nous a pas coûté 1 000 dollars est parvenu à dévaster un pétrolier de cette taille, imaginez l'ampleur du danger qui menace l'artère commerciale de l'Occident que constitue le pétrole. Cette opération n'est pas seulement une attaque contre un pétrolier, mais également une attaque contre les lignes de transport internationales de pétrole et toutes ses différentes connotations.” Le Bassin méditerranéen fait face à un terrorisme de zone. La branche d'Al Qaïda Maghreb islamique (AQMI), présente au Maghreb et au Sahel, est extrêmement mobile. Depuis son allégeance à Al Qaïda, AQMI a adopté les méthodes et modes opératoires utilisés sur tous les théâtres d'opérations terrestres de cette dernière, à savoir en Irak, en Afghanistan, au Pakistan, en Inde, etc. Les terroristes d'AQMI ont ainsi recours aux attentats suicides (kamikazes aux voitures piégées, kamikazes aux ceintures explosives) ainsi qu'aux Road Side Bombs (RSB). La prise de conscience collective de la menace terroriste en Méditerranée occidentale constitue un premier élément d'analyse. Il convient de rappeler qu'en 2002, les autorités américaines ont arrêté Abdul Rahim Mohammed Hussein Abda Al-Nasheri, le chef des opérations navales d'AQ à l'origine de l'attaque de l'USS Colde, qui aurait alors confessé la planification d'autres attaques dans le détroit de Gibraltar à l'image des actions terroristes menées dans le détroit de Malacca. Par ailleurs, l'affaiblissement avéré d'AQMI sur le champ de bataille terrestre rend plausible le report de ses actions terroristes sur le champ maritime en manifestant ses capacités et sa liberté d'action en mer, par des actes terroristes majeurs qui pourraient se concentrer sur des attaques visant des cibles hautement stratégiques dans l'espace économique de la Méditerranée occidentale. En concomitance, les actions criminelles d'AQMI au Sahel et celles de la piraterie en Somalie permettraient à AQ de renforcer sa capacité financière pour se doter de moyens techniques et technologiques, afin d'opérer en mer Méditerranée. Aujourd'hui, la Méditerranée occidentale constitue un enjeu aussi bien stratégique qu'économique et lutter contre le terrorisme maritime potentiel, le trafic de drogue, l'immigration clandestine et le crime organisé sont les défis sécuritaires de l'heure. J'insisterai, en conclusion, sur le fait que la menace terroriste en Méditerranée occidentale ne relève nullement d'un mythe du fait que nous assistons en cette nouvelle ère à l'innovation dans la piraterie maritime même si la question subsiste quant aux réelles capacités d'AQMI à conduire des actions terroristes d'une telle envergure comparées à celles menées actuellement sur les champs de bataille terrestres, compte tenu de la haute technicité que nécessite l'attaque en mer. A. C. (*) Expert des questions stratégiques, membre du WEF et du Defence & Security Forum