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“Tout le monde se considère comme propriétaire de la mémoire de l'Algérie”
L'historien Benjamin Stora revient sur la polémique mémorielle entre la France et l'Algérie
Publié dans Liberté le 07 - 06 - 2010

Il passe pour être l'un des historiens spécialistes de la guerre d'Algérie les plus en vue de ces vingt dernières années. Benjamin Stora, dont les liens profonds avec l'Algérie n'ont jamais été démentis, est revenu en marge d'une vente dédicace de ses deux livres la gangrène et l'oubli et le mystère De Gaulle samedi à Alger sur la polémique devenue désormais cyclique entre Alger et Paris autour de la mémoire. “L'histoire de l'Algérie reste extraordinairement brûlante, ça reste une histoire passionnée, difficile. Tout le monde se considère comme propriétaire de la mémoire de l'Algérie, il y a énormément de groupes de pression de mémoire qui veulent garder, conserver leur point de vue”, explique-t-il. “Ces derniers, poursuit-il encore, n'arrivent pas à traverser le miroir et aller comprendre le point de vue des autres.”
Une entreprise visiblement laborieuse pour les “nostalgérie”, mais elle l'est beaucoup moins pour les algériens. “Ça c'est très difficile, c'est quelque chose qui reste à vif, peut-être moins du côté des Algériens parce qu'ils ont acquis leur indépendance, mais c'est plus difficile pour les français qui ont perdu l'Algérie française”, soutient Stora. “Pour les groupes porteurs de la mémoire européenne, au sens large, il y a une espèce de brûlure qui a du mal à se défaire. et ce qui est intéressant, la mémoire des européens d'Algérie, elle, se réapproprie complètement Camus. Or, Camus n'était pas aimé par les Européens en Algérie. Il était mis à l'écart, il y avait des manifestations contre lui ; il était vilipendé, et c'est que dans le fond, c'est par son silence et sa mort qu'il a été ‘'récupéré'' et réapproprié par les européens en France. Ils ont voulu le transformer en une sorte d'icône et on voit à travers cet exemple des batailles de mémoire, des querelles d'héritage”, explique-t-il encore. Le choix de De Gaulle par rapport à l'Algérie était-il judicieux, interroge une consœur ? “De Gaule avait des principes. Il voulait sortir de l'immobilisme, et en même temps, il était obligé de s'adapter ; il n'a pas été là où il fallait aller au point de départ. Ce qu'il voulait faire est une solution fédérale pour l'Algérie ; il voulait garder le Sahara pour le pétrole et le gaz, continuer les expériences nucléaires françaises. C'est fondamental du point de vue de la nation française. Il défendait les intérêts de la France et à partir de là il n'a pas pu aller jusque-là. Ce projet a avorté ; on est arrivé à l'indépendance, à la séparation, et non pas à l'association ou à la solution fédérale parce qu'il y avait toute une série de facteurs”, affirme l'historien. Enfin à la question sur les centres de recherches, il a encore une fois admis l'existence de contraintes liées à la mémoire. “Ça existe déjà, on a travaillé Harbi et moi ; on a dirigé une trentaine de chercheurs, d'historiens algériens et français ; on a déjà fait ça, mais, à mon sens, ça ne pourra pas éteindre complètement les passions ; elles sont encore trop vives, il y a trop de blessures et puis il y a surtout la non-reconnaissance de l'autre, c'est ce qui est difficile. Tant qu'il n'y a pas de reconnaissance de l'autre, sur le plan humain, sur le plan politique et sur le plan culturel, l'autre a toujours le sentiment d'être blessé”, conclut Stora.

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