Voyageurs, historiens, chroniqueurs se suivent et ne se ressemblent pas. Les uns font dans le détail minutieux, les autres se contentent de décrire de loin. Il en est ainsi pour Skikda et sa région. Durant de longs siècles, l'histoire ne nous en brosse que les gros traits. Que fut-elle sous l'influence punique ? A-t-elle connu les splendeurs et les misères de Carthage qui l'avait intégrée comme escale dans ses itinéraire marins ? Elle a, très certainement, vécu des heures fastes sous les rois numides. Son rôle de porte de communication avec Romelui assurait certains privilèges. Cette opulence va durer jusqu'à la défaite de Juba l'ancien par Jules César. Rusicada et sa voisine Chullu deviendront à l'instar de Milevet Cirta colonies de la nouvelle province de l'empire. On a retrouvé sur l'emplacement de l'actuelle Skikda un de ces horrea,véritables greniers d'abondance où l'Etat entassait pendant les bonnes années des approvisionnements de grains qu'on vendait à bon prix au peuple dans les temps de disette, mesure qui prévoyait les séditions en assurant la partie essentielle du programme panem et circences.Du pain et des jeux ! L'ancienne Rusicada avait un cirque de sept mille places, de loin la construction la plus importante de la cité. L'horrea a été érigé entre 364 et 375 de notre ère comme l'atteste l'inscription commémorative. Les lieux convenaient si bien à la conservation des aliments que les habitants venaient y entreposer leurs victuailles. Le poisson est omniprésent. Les pageots, si l'on en croitleur figuration sur divers objets trouvés dans la région, étaient très appréciés. On chasse aussi beaucoup de bêtes carnivores et herbivores. L'éléphant était très apprécié pour les chairs de sa trompe… Vignes, figuiers, oliviers abondaient, leurs produits faisaient l'objet d'une vaste consommation. Ces lointaines visions s'estompent couvertes par le tumulte des Vandales suivis des Byzantins. Vers l'an 500 de notre ère la cité a cessé d'exister, du moins dans les écrits des historiens. Au XIIe siècle la vie semble reprendre dans la région. Les fruits, les produits de la terre, et les raisins y sont abondants, les pommes y sont très belles, peut-on lire dans l'anonyme Kitab al istibsar fi adjaïb al amsar. Sous la domination turque c'est le port voisin de Colloqui semble monopoliser le trafic. Il en sera ainsi jusqu'à l'occupation française. Les habitants de la région pratiquant jusque-là le modèle autarcique vivaient de leurs produits. À côté de l'orge et du blé qui restent la base de l'ordinaire il y a profusion de légumes secs et viande de conserve en hiver. Légumes frais au printemps, laitages en été, fruits en automne. L'huile d'olive est naturellement d'un usage courant. Les poissons ne semblent pas être appréciés. La richesse halieutique de la région n'échappera pas à l'occupant. La pêche pratiquée par des pêcheurs napolitains donnera naissance à une industrie de la salaison. Les statistiques déclareront 5 774 quintaux de sardines et d'anchois à l'exportation en 1874. L'économie coloniale va imposer un autre mode de vie, un autre modèle de consommation, dira-t-on de nos jours, aux autochtones. La venue de commerçants et d'artisans de Constantine et de Annaba viendra ajouter de nouveaux ingrédients à l'ancien fond culinaire. Chacun ayant rapporté ses propres traditions. Mélange qui donnera un cachet particulier à la table régionale. Simplicité montagnarde, rusticité paysanne, raffinement constantinois, générosité annabia, modernité européenne, voilà de quoi faire dans le menu… Un riche répertoire Que sont devenus le tajine bou narine, tajine de viande et pommes de terres cuit sur deux feux dans une marmite en terre au nom si charmant de bent Amar, et le bou m'ghali bel lâadam bouillie à la semoule et aux œufs ? A-t-on gardé souvenir du mets, à l'appellation poétique de el chettah fel nouar ? La viande hachée est à l'honneur avec el mzaâbal fi hjeur mou (préparation de choux farcis à la viande, un mkéfène fi drouj, l'évocation du linceul n'a rien de funèbre, ce n'est que l'allusion à l'enrobé au blanc d'œuf d'un hachis aux légumes. Il y a également une kefta fel kharchef, des cardes farcie ! ça ne peut qu'être savoureux. Le djari ahmar au frik est préparé avec du bœuf et du poulet en morceaux consistant, s'il vous plaît !… La carte régionale des mets est encore très longue. Nous y ajouterons certaines spécialités tirées de l'excellent ouvrage, aujourd'hui épuisé, la Gastronomie à travers l'Algérie de Mme Zekkeli. Avec la réserve quel'auteur semble affecter d'une façon un peu fantaisiste les spécialités par régions. Au chapitre des soupes, on découvre un vrai régal avec chorbat el foul oual djelbana, soupe de pois cassés et fèvettes sèches longuement cuits ensemble, aromatisé à l'oignon, parfumée à la cannelle, relevée au piment, puis arrosée de lait et garnie de petites pâte cuites à part (Skikda). Succulente cette recette de carottes farcies à la viande (Skikda), dolma zrodia. Et ce mets princier, left terbiya, tajine d'agneau aux navets, la terbiya étant d'origine turque on peut y déceler un héritage via Constantine, Annaba ou, plus près, Collo. Des feuilles de vigne farcies à la viande de mouton et aux noix et assaisonnées au ras el hanout (Skikda) qui se démarquent de la recette mère aux origines ottomanes. On en reprendrait bien un peu de cet original et non moins savoureux l'ham bel sekkoum (Azzaba), de l'agneau aux asperges, rien que ça. Kateb Yacine en aurait-il goûté dans sa prime jeunesse ? Collo se voit attribuer une kebda m'chermla bel bsal, heureux mariage de l'oignon doré, du vinaigre, du vrai, et du cumin avec le foie d'agneau. On retrouve la chtit'ha sardine (Skikda), et la dolma sardine (Collo) ainsi que le calmar dolma communs à toute la côte. Les douceurs sont représentées par une confiture d'écorces de pastèque ou melon d'eau si l'on préfère (Collo) et une autre de raisins (Azzaba). Aujourd'hui confitures, marmelades et gelées de fraises ont fait irruption sur les tables. Il faut bien absorber la production de l'agriculture locale qui s'est spécialisée dans la culture de ce fruit rouge. RECETTE Chorba de Skikda Ingrédients : viande de mouton, smen (beurre salé) sel, poivre, céleri, persil, coriandre, menthe, du concentré de tomates et deux tomates, un verre de “frik” (blé vert concassé), 2 oignons (piment vert et citron facultatifs) Préparation : Dans une marmite, mettre les morceaux de viande coupés en morceaux assez petits, ajouter une bonne cuillère à soupe de smen (beurre salé), râper 2 oignons ou les mixer, sel, poivre, du céleri coupé très fin, du persil également et faire revenir le tout à petit feu, ajouter 2 bonnes cuillères à soupe de concentré de tomates, mélanger avec une cuillère en bois le tout et laisser mijoter à feu doux. Pendant ce temps, ajouter de l'eau assez chaude au frik et laisser gonfler. Ajouter de l'eau dans la marmite ,environ 1,5l (feu moyen ), ajouter le frik à la chorba qu'on appelle chez nous “jéri”, on râpera les deux tomates bien mûres. Au besoin, on pourra ajouter de l'eau selon la quantité de chorba qu'on aimerait avoir. Quand la viande est cuite, on coupera finement de la menthe, fraîche si possible et de la coriandre, certains aiment y ajouter un filet de citron dans leur assiette, un piment vert dans le jéri une fois prêt sera le bienvenu, même si on n'est pas amateur de piment. C'est une recette traditionnelle de chez nous et aucune fête ne se conçoit (mariages, etc.) sans qu'il y ait notre “jéri” ! [email protected]