La session de printemps du Parlement ne se terminera pas en queue de poisson. Outre l'important projet de loi sur les conditions et modalités d'exploitation des terres agricoles publiques et la mini-révision du code maritime, l'APN examinera, à compter du 29 juin, deux autres projets de loi sur la concurrence et les pratiques commerciales. Pour avoir participé aux débats en commission des deux derniers cités, il m'a paru utile d'y intéresser l'opinion par cette modeste contribution. Notons d'abord que ces projets, qui ne sont pas les premiers en la matière, portent tous deux sur des amendements que le gouvernement souhaiterait respectivement apporter à l'ordonnance 03-03 du 19 juillet 2003 relative à la concurrence déjà modifiée et complétée par la loi 08-12 du 25 juin 2008 et à la loi 04-02 du 23 juin 2004 fixant les règles applicables aux pratiques commerciales. Les motivations et objectifs du gouvernement Elles se résument à trois axes essentiels : - consécration de la compétence générale de l'Etat en matière de stabilisation des prix et du marché et de détermination des marges de gains ; - élargissement du champ d'application des règles de la concurrence à des catégories d'agents économiques jusqu'ici non impliqués. - établissement de mécanismes et paramètres juridiques et économiques de l'encadrement du marché par l'Etat. Place à une compétence générale de l'Etat en matière de prix Jusqu'ici l'Etat n'était autorisé à réglementer (art. 5 de la loi 8-12 du 25 juin 2008) que les prix des produits stratégiques ou à limiter exceptionnellement des “hausses excessives” de prix dues à une “grave perturbation” du marché, une “calamité” ou “un monopole naturel” touchant un secteur ou une zone géographique déterminés. Toutefois, et c'est un détail de taille, cette intervention publique exceptionnelle ne pouvait dépasser la durée de 6 mois renouvelable et elle était surtout subordonnée à un avis obligatoire du Conseil de la concurrence (un organe absent depuis 2001). Les amendements présentés par l'Exécutif cette fois-ci abandonnent la politique des “biens et services stratégiques” (mais pas le mécanisme comme on le verra) éliminent toute référence au Conseil de la concurrence, là où elle existait dans les articles amendés, et suppriment toute limitation précise dans le temps à l'action de fixation réglementaire des prix. Celle-ci est élargie aux “marges” de gains des divers agents. La libre concurrence confortée ou remise en cause ? Ce principe de l'économie de marché est d'abord réaffirmé dans l'article 4 du projet de loi sur la concurrence. La liberté des prix qui en est le corollaire est néanmoins redéfinie dans son contenu pour être subordonnée au respect du droit positif en vigueur et aux “règles d'équité et de transparence”. Le gouvernement entend matérialiser ces principes moraux par l'élaboration administrative de “structures de prix des activités de production, de distribution, de prestation de services et d'importation de biens pour la revente en l'état” et la fixation administrative des marges bénéficiaires du producteur et du distributeur (art. 4). Observons que cette redéfinition de la liberté des prix ignore superbement et délibérément la loi de l'offre et de la demande qui est le moteur essentiel de la liberté des prix ainsi que les hausses éventuelles du marché mondial. Suffirait-il donc d'imposer une mercuriale administrative des prix et un tableau des marges bénéficiaires de même acabit pour que le marché se mette au garde-à-vous ? Un champ d'application réinventé Les articles 2 des deux projets de loi cités plus haut sont l'élément le plus ahurissant de l'initiative du gouvernement en ceci qu'ils proposent des amendements qui n'apportent rien que l'ancienne loi n'ait prévu. Sur le plan de la technique du droit, c'est une hérésie, mais l'Assemblée n'en est plus à cela près elle qui a voté sur des graphes et des cartes de géographie. Ces amendements (les mêmes termes pour les deux projets) entendent élargir les dispositions de la législation sur la concurrence et les pratiques commerciales “aux activités agricoles et d'élevage”, aux activités “réalisées par les importateurs de biens pour la revente en l'état, les mandataires, les maquignons et les chevillards”, aux activités “d'artisanat et de la pêche”. Or, que sont toutes ces activités ainsi détaillées sinon que des activités “de production, de distribution et de services” comme en disposaient les deux anciens articles 2 proposés à l'amendement. Dans la même foulée, le gouvernement fait assumer à une APN devenue souffre-douleur, en plus de sa fonction de chambre d'enregistrement, l'intégration — tout à fait légitime à mon sens — dans les circuits du contrôle étatique d'une paysannerie faussement choyée depuis des décades. La répression administrative prime une organisation efficiente du marché Pour l'essentiel, les amendements à la loi sur les pratiques commerciales proposés par le gouvernement édictent de nouvelles mesures de répression ou aggravent celles déjà prévues par l'ancienne législation. Ainsi, tout manquement, avant toute vente, au dépôt de sa structure de prix pour homologation, exposera le prix pratiqué à l'illicité et, partant, son auteur à une amende de 200 000 à 10 millions de DA sans préjudice de la saisie de la marchandise. Elargie à la répression des infractions aux dispositions de la nouvelle loi, la saisie peut désormais être exécutée (art. 8 du PL sur les pratiques commerciales) “en quelque lieu que se trouvent les marchandises” (y compris dans les champs lorsque le produit est agricole ???). La durée de fermeture administrative de locaux commerciaux que peut infliger un wali passe de 30 à 60 jours et le délai de prescription de l'infraction l'ayant occasionnée passe de 1 an à 5 ans, la récidive pouvant aboutir à une interdiction temporaire de commercer pendant 10 ans sans préjudice d'une peine de prison qui passe de 3 mois à 1 an pour être de 3 mois à 5 ans. S'il était suivi par la commission économique de l'APN, le gouvernement propose même — en attendant que le juge en statue — d'accorder aux fonctionnaires de l'administration la prérogative de retirer au commerçant son registre du commerce à titre conservatoire (bonjour la fiesta des retraits de permis de conduire à tout bout de champ). Il est important de noter que lors de l'étude de ces projets de loi par la commission économique de l'APN, le représentant du ministre du Commerce a refusé de confier, au moins en première instance, la fixation, le plafonnement et l'homologation des prix et marges à un organisme interprofessionnel dans lequel seraient représentés les pouvoirs publics, à l'exemple de ce qui s'est fait pour le lait. Tout comme je l'ai moi-même établi lors des séances de questions-réponses aux représentants de l'exécutif devant la commission économique de l'APN, chacun pourra conclure que le gouvernement ne possède aucune stratégie d'ensemble en matière de prix et de commerce, à moins que ce ne soit la volonté politique qui fait défaut parce que trop d'intérêts colossaux sont enchevêtrés. La mise entre parenthèses du Conseil de la concurrence, dont le projet de loi actuel va jusqu'à supprimer la mention par un article de l'ancienne loi proposé à l'amendement, est la preuve la plus éclatante de cette triste réalité. Un discours officiel réduit à dimension administrative et judiciaire de la régulation et du contrôle fait office de politique. Oui, simple discours de circonstance rédigé sous forme d'articles de lois, parce que les pouvoirs publics ne possèdent même pas les moyens de le mettre en œuvre comme le prouve le nombre dérisoire (2 500) de contrôleurs des prix que possède le ministère du Commerce pour 1 300 000 commerçants déclarés. Ne serait-il d'ailleurs pas plus efficace et plus rentable de confier la mission de contrôle des prix à l'administration fiscale qui régulera ainsi prix, marges et impôts ? Ce type de démarche surinvestissant l'instrument administratif sera encore une nouvelle fois invalidé par le niveau de corruption qui ronge l'Etat. L'ignorance délibérée de la problématique de l'offre et de la demande est une preuve supplémentaire du manque de sérieux de l'initiative. Il aurait pourtant suffi, pour les produits agricoles par exemple, de soumettre les exploitations agricoles publiques (EAC et EAI) à un cahier de charges planifié, elles qui sont trop souvent laissées en jachère. Il aurait fallu, en matière de volaille, dispenser de la TVA non pas les produits importés et donc les importateurs, comme c'est le cas, mais le poulet produit et distribué lesté actuellement d'un taux de 17%. Soit dit en passant, j'ai appris qu'une telle mesure en faveur des éleveurs remettrait dans les abattoirs officiels 95% de volaille que nous achetons hors de tout contrôle sanitaire. Toujours dans l'agriculture, qui rédigera leurs factures ou les documents en tenant lieu à des paysans à 80% analphabètes ? N'aurait-il pas été plus efficient de créer des coopératives d'entraide mutuelle nécessaires à plus d'un titre ? L'évacuation de l'outil de la fiscalité dans ses dimensions stimulatrice ou dissuasive pour réguler prix et marges est un autre signe de la légèreté de la démarche des autorités. Les conditions d'une concurrence loyale sont-elles réunies lorsqu'un opérateur peut détenir plus de 40% du marché d'un produit ? Pour conclure et étant exclu de prétendre connaître la question des prix mieux que les pouvoirs publics, je suis contraint de douter de leur volonté de lutter contre la spéculation et la cherté de la vie qui dévorent le pouvoir d'achat des citoyens, particulièrement les catégories les plus démunies. À ceux qui veulent faire accroire l'inverse aux citoyens, je dirai que comme une hirondelle ne fait pas le printemps, les deux projets de lois présentés devant l'APN ne nous feront pas un ramadan plus clément, surtout dans un été qui s'annonce torride.