Le ministre israélien du Commerce, Benjamin Ben Eliezer, et le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, se sont rencontrés dans le plus grand secret à Bruxelles pour évoquer l'état des relations entre les deux pays, qui n'ont jamais été aussi mauvaises. Cette rencontre, confirmée par les deux parties, n'a pas été sans conséquences sur la politique intérieure israélienne. En effet, le ministre des Affaires étrangères, l'ultranationaliste Avigdor Lieberman, en apprenant que cette rencontre a eu lieu, a rué dans les brancards et a fait savoir au Premier ministre Benjamin Netanyahu toute sa colère d'avoir été tenu à l'écart d'une initiative qui relève de son département. Le choix de Benjamin Netanyahu de charger de cette mission délicate son ministre du Commerce en lieu et place du chef de la diplomatie relève cependant de l'évidence : Avigdor Lieberman, même s'il est apprécié par une partie de la droite israélienne pour son franc-parler et son discours musclé, passe très mal à l'étranger. De plus, il a personnellement contribué à la dégradation des relations avec la Turquie en étant à l'origine d'un incident diplomatique, il y a de cela quelques mois. Loin d'accepter l'évidence, le chef des ultranationalistes a dénoncé ce qu'il a considéré comme “une insulte aux normes de comportement communément acceptées et un coup sévère à la confiance entre le ministre des Affaires étrangères et le Premier ministre” et a crié au complot derrière lequel se trouveraient les Etats-Unis. La réaction violente de Lieberman gêne considérablement le Premier ministre israélien, même si, pour l'heure, le ministre des Affaires étrangères n'a pas évoqué son retrait de la coalition au pouvoir. Benjamin Netanyahu est confronté à un vrai dilemme. Avigdor Lieberman est le principal allié de sa coalition et il a besoin des 15 députés d'Israël Beitenou pour continuer à gouverner sans le parti Kadima de Tzipi Livni. Mais la politique extrémiste et le langage très peu conventionnel du ministre ultranationaliste le rendent inutilisable comme chef de la diplomatie. En chargeant le travailliste Ben Eliezer de la délicate mission de renouer le contact avec les autorités turques, Benjamin Netanyahu a voulu jouer la carte de l'apaisement avec Ankara. Né en Irak et parfait arabisant, le ministre du Commerce est considéré comme celui qui connaît le mieux le monde arabe et musulman et ses subtilités au sein de la classe politique israélienne. De même, sa vision de la politique étrangère d'Israël est à l'exact opposé de celle prônée par le titulaire du portefeuille de la diplomatie. “Le monde entier en a assez de nous, assez d'écouter nos explications, assez de montrer de la sympathie pour nos problèmes, même s'ils sont réels, assez d'essayer de nous comprendre. Le système ne fonctionne tout simplement plus”, a-t-il déclaré la semaine dernière à un journal israélien. La Turquie étant le seul pays musulman avec lequel Israël avait des relations normales, y compris en matière de coopération militaire, il est aisé de comprendre le choix du Premier ministre dans cette mission de conciliation. D'autant plus que la Turquie, qui revendique à juste titre le statut de puissance régionale, pays frontalier de la Syrie, de l'Irak et de l'Iran, peut s'avérer un allié précieux ou, accessoirement, un médiateur utile. Les relations entre les deux pays ont commencé à se dégrader à cause de l'opération “Plomb durci” menée contre Gaza, pour devenir carrément exécrables suite à l'arraisonnement de la “Flottille de la liberté” au cours duquel neufs ressortissants turcs ont trouvé la mort. Le ministre turc des Affaires étrangères ne s'est pas limité d'exiger la libération des trois bateaux turcs retenus dans un port israélien. Il a voulu mettre à profit l'isolement diplomatique d'Israël pour conditionner la normalisation des relations entre les deux pays par la levée complète du blocus imposé à la bande de Gaza par l'Etat hébreu. Ce faisant, Ankara confirme sa volonté de regarder un peu plus vers l'Orient et un peu moins vers l'Occident. Dans tous les cas, qu'il s'agisse du dossier du nucléaire iranien ou du problème palestinien, la Turquie commence à s'imposer comme un partenaire incontournable. Elle est en voie de prendre une position de leadership dans le Moyen-Orient, position que les rues arabes et musulmanes lui concèdent déjà volontiers.