Le gouvernement a annoncé le lancement d'un important programme d'investissement qui engagera 286 milliards de dollars dont 130 pour les projets en cours. ll Il faut à mon avis replacer cette importante initiative dans le discours développé par l'Etat depuis une année et qui revient à un ensemble de fondamentaux à savoir que l'économie ne peut progresser, créer de la richesse et des emplois que si les entreprises nationales, publiques et privées, trouvent un encouragement et une stimulation permanente auprès de l'Etat. Le partenariat public-privé est la clé de toute politique de relance effective. Le patriotisme économique, que je ne cesse de prôner, ne suppose pas seulement un fort engagement de l'Etat en tant qu'Etat-stratège qui est le grand ordonnateur du développement industriel et technologique, l'architecte de l'insertion active de l'économie nationale dans la nouvelle économie et l'arène fortement compétitive de la globalisation. Il suppose aussi que l'on encourage l'excellence, l'innovation et les innovateurs. À aucun moment on ne peut dissocier le programme d'investissement des acteurs chargés de le réaliser. Le programme doit être générateur d'une dynamique de croissance auto-entretenue, il doit enclencher un cercle vertueux qui encouragerait le développement d'acteurs nationaux et favoriserait la formation de véritables champions industriels. En ce sens, je pense qu'un tel niveau d'engagement financier de l'Etat est un signal fort. Il doit se prolonger par des modes de gouvernance nouveaux qui impliquent autant les acteurs économiques, les universités que la société civile. Il n'est plus possible de formuler les questions en termes d'atteinte du meilleur compromis coût/échéances. On a vu que dans les programmes en cours, nous n'avons atteint aucun des deux termes de cet optimum. Bien plus, les commandes publiques ont été la porte d'entrée à des pratiques de corruption qui ont encore plus fragilisé des chaînes de commandement déjà éprouvées. La loi de finances complémentaire 2009 a été beaucoup attaquée. Exagérément à mon avis même si, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, elle aurait gagné à être élaborée et mise en œuvre en concertation avec les premiers concernés, soit les entreprises. De même, on a peu évoqué les mesures prévues par cette loi pour encourager l'investissement et la création d'entreprise. Le gouvernement aurait pu mieux communiquer autour de cette loi en amont et en aval. Il doit apprendre à communiquer avec le monde économique et surtout impulser le partenariat public-privé. Et le plan de développement qu'il vient de lancer doit être l'occasion pour lui de le faire et de poser les bases d'une gouvernance moderne. Cette gouvernance suppose un contrôle citoyen. Un tel contrôle suppose des référentiels, des standards et des normes qui doivent être universels. Il suppose un management moderne qui est responsable sans interférences du politique, des managers qui prennent des risques mesurés et qui ont le droit aussi à l'erreur. Il faut réhabiliter d'abord l'acte de gestion et le porter aux standards internationaux, il faut ensuite des contre-pouvoirs. L'entreprise citoyenne est aussi celle (même lorsqu'elle est privée) qui implique la société dans ses choix stratégiques, qui lui rend compte. On voit bien ici que la question du contrôle dépasse le strict cadre des commandes publiques pour se poser comme une exigence éthique. L'implication de la société suppose un rôle actif et éclairé de celle-ci. Les institutions élues, la presse, l'université doivent gagner en compétence dans leur traitement des questions économiques et le rôle de l'Etat est de les y aider pour cela. Notre tissu de PME reste clairsemé. Une plus grande densité est nécessaire pour obtenir de réelles synergies. Je ne pense pas que nous ayons plus de 2 500 à 3 000 véritables PME sur les 450 000 recensées officiellement. Un rythme de création de 50 000 PME par an reste très en deçà de ce qui est nécessaire pour enclencher une réelle dynamique industrielle. Même si les dispositifs existent sur le papier, la lourdeur des procédures administratives et les freins de toute sorte font que nous ne pouvons pas avoir réellement un effet entraînant. Le secteur financier, par exemple, est inadapté aux réalités de la compétition. Je prône la e-transformation des PME. Celles-ci doivent pouvoir s'approvisionner en pièces de rechange, matières premières, soumissionner pour un contrat à l'autre bout du monde, conclure des partenariats, tout cela par un simple clic de souris. Pensez-vous cela possible dans les conditions actuelles où des exportateurs de ma connaissance ont dû déposer leur bilan car les très longs délais pour accéder à leurs recettes auprès des banques ont eu raison de leur faible surface financière ? ll L'Etat doit engager une politique résolue d'impulsion du tissu productif national. L'importance du programme d'investissement n'en est qu'une partie. Pour que ce programme prenne sens, il doit s'intégrer dans une perspective globale dont l'âme est l'émergence d'acteurs nationaux compétitifs, innovants et activement impliqués dans les grands challenges d'aujourd'hui. Je pense que la volonté de l'Etat est d'enclencher ce cercle vertueux. Il reste à conceptualiser davantage ce discours et communiquer, il reste à impliquer tous les concernés. Je pense que le pendant sera l'amélioration du climat des affaires, et la conséquence sera une meilleure visibilité pour tous nos partenaires potentiels, soit les conditions optimales pour une impulsion des IDE. On ne prête qu'aux riches, comme on dit. Les IDE ne viendront réellement et ne seront un levier que s'il y a une réelle dynamique de développement industriel menée par les acteurs publics et privés nationaux et dans laquelle ils s'intègreraient. Ils ne peuvent en aucun cas se trouver à l'origine de cette dynamique qui doit fondamentalement être une dynamique nationale. Nous le voyons en Chine aujourd'hui, nous l'avons vu hier en Corée du Sud. Et cette dynamique est fondée sur le patriotisme économique et le principe de la préférence nationale. La loi chinoise sur “l'innovation indigène” réserve toutes les commandes publiques aux entreprises nationales de haute technologie. Nous voyons que dans le contexte de crise sévère que connaît l'économie mondiale la demande interne est un enjeu important de sortie de crise et les Etats les plus libéraux n'hésitent pas à prendre des mesures volontaristes pour réserver cette demande interne à leurs entreprises nationales. Et s'il fallait monnayer notre demande interne, nous devons négocier méthodiquement l'effet entraînant pour notre économie. Ouvrir les commandes publiques à des entreprises étrangères doit s'accompagner de partenariats avec des entreprises nationales mais aussi des délocalisations d'activités voire l'entrée dans le capital des sociétés qui souhaitent opérer dans notre pays. L'Algérie devrait pouvoir atteindre un taux de croissance à deux chiffres à l'horizon 2015. Le taux de 4% anticipé par le FMI me semble en deçà des possibilités et surtout des besoins de notre économie. À partir de ce futur désiré, il faut définir la stratégie. Je ne vois pas ce programme comme une simple addition de projets, il doit être vu comme un processus. Je pense aussi qu'il faut profiter de la crise économique et adopter une approche proactive. La crise de la dette souveraine en Europe qui n'en est qu'à ses débuts a, selon moi, un potentiel de diffusion très fort en direction des pays sud-méditerranéens. Nous allons inévitablement absorber une part de l'impact de cette crise. Cette crise concerne surtout les pays euroméditerranéens qui se caractérisent par d'importants déficits budgétaires et une demande interne forte contrairement à leurs partenaires plus au Nord qui vivent la situation inverse. Aujourd'hui, la demande interne doit être contractée dans ces pays. Cette contraction doit être compensée par l'accès à des marchés extérieurs. La demande interne est donc un enjeu, et la nôtre doit être réservée à nos entreprises. D'autre part, la capitalisation boursière de nombreuses entreprises européennes va s'en ressentir, de nombreuses PME chercheront acquéreur. Il y a là une opportunité unique pour faire des acquisitions et donner une envergure nouvelle à notre économie. La chance c'est savoir saisir les opportunités. Je veux ajouter que la crise économique est, selon moi, d'une grande complexité car c'est la première crise qui survient dans une économie globalisée, fortement interconnectée, où les processus productifs sont transnationalisés et où la sphère financière elle-même fortement interconnectée régit totalement les logiques structurantes de l'économie réelle. De grandes incertitudes pèsent sur l'économie mondiale, sur l'Europe à court terme, avec pour moi une forte probabilité d'éclatement de la zone Euro. Tout ceci remet en perspective notre plan de développement qui ne peut pas ne pas prendre en compte les grandes turbulences que traverse le bateau Algérie en ce début de siècle. Et nous savons que les périodes de grandes turbulences si elles sont lourdes de menaces, sont celles où s'ouvrent les plus grandes opportunités. D.Z (*) Président du Cabinet Emergy Expert pétrolier international Professeur de Stratégie et de Géopolitique.