Avec le retour de l'ambassadeur d'Algérie à Bamako, Nouredinne Ayadi, après 5 mois de brouille diplomatique avec le Mali, on est en droit d'espérer un réchauffement avec le régime d'Amané Touré (ATT). Un rapprochement qui doit être validé par la réalité du terrain antiterroriste. Une semaine après l'exécution de Michel Germaneau et près d'un mois après l'embuscade de Tinzaouatine, la situation au Sahel, dans le triangle Tessalit-Tombouctou-Kidal, n'a jamais été aussi incertaine. Le raid du service action de la DGSE, sous couverture des troupes mauritaniennes des Groupes spéciaux d'intervention (GSI), unité formée par le COS français, a permis de neutraliser 6 terroristes (sur un contingent estimé à 450 dans la région), mais a surtout mis en lumière la difficulté de s'attaquer à l'Aqmi qui est, dans le nord du Mali, comme un poisson dans l'eau. La situation après ce raid est en train de déboucher sur une redistribution des cartes dans la région sahélienne. L'Algérie va certainement accélérer la mise en place du comité d'état-major de Tamanrasset qui regroupe les pays concernés par l'implantation du GSPC dans le Sahel. Le montage d'une telle structure politico-militaire n'est pas facile, surtout que le méfiance règne entre ces armées qui semblent avoir des vues divergentes sur le traitement du terrorisme. La position du Mali est au cœur des débats. Particulièrement l'attitude d'ATT dont la connivence avec l'Aqmi a dépassé les frontières du tolérable. Car le raid français semble avoir été projeté au-delà de la volonté de Bamako puisque ATT, présent au sommet de N'Djamena, semble avoir été averti 6 heures après le déclenchement de l'opération programmée à 5h, au cœur du territoire malien. Les observateurs de la scène sahélienne sont unanimes pour indiquer que Paris semble avoir le soutien nécessaire du côté de la Mauritanie pour organiser une opération secrète, par crainte des fuites vers l'Aqmi, afin de récupérer son otage en mettant de côté Bamako. Mais l'échec du raid dans sa partie “récupération” a contraint Paris à dépêcher Bernard Kouchner afin d'apaiser les tensions naissantes et donner, ainsi, un autre sursis aux hésitations d'ATT. Le président malien sort, paradoxalement, vainqueur de cette partie de billard au Sahel. Avec l'Aqmi, auquel il a concédé des niches territoriales dans le nord du Mali, notamment du côté de Tessalit et Agel'hok, il garde sa réputation de bon hôte intacte. À aucun moment, le communiqué de l'Aqmi ne stigmatise le Mali. Même le radical Abou Zeïd est conscient que son groupe ne serait jamais inquiété tant qu'il a la double protection des notables barabiches de Gao et celle des conseillers d'ATT qui tirent les ficelles. Cette promiscuité avec le groupe salafiste a pris une autre dimension avec l'émergence des cartels sud-américains qui découvrent, dans cette partie du Sahel, avec ses pistes d'atterrissage clandestines, ses semi-remorques à foison et la protection armée des brigades de l'Aqmi, un véritable paradis pour prospérer. Une “zone grise” où des cargaisons de cocaïne transitent en partance vers l'Europe, souvent à travers le Maroc qui demeure le passage obligé. Ainsi, le régime malien s'est mis dans l'idée de faire fructifier l'échec français avec une opération de “com” en indiquant, en substance, que la manière forte ne remplacera jamais les négociations. En décrypté, laissez-nous négocier les prix des otages et les commissions qui vont avec, et ne vous mesurez pas à l'Aqmi par les armes, car il maîtrise le terrain. Cette permissivité a donné lieu à une immunité flagrante actuellement, puisque l'Aqmi est en train de recruter à tour de bras. Les recrues n'ont jamais été aussi nombreuses et différentes : des Mauritaniens épris de salafia, des volontaires somaliens envoyés par le “Shebab”, des désœuvrés targuis issus du Mali, des barabiches de la région Centre et même des Marocains qui se présentent comme des Sahraouis ! Mokhtar Belmokhtar est en train de se constituer une légion étrangère qui risque de grossir rapidement si les pays du Sahel ne mettent pas en sourdine leurs différends et si des Etats comme celui du Mali continuent de jouer au charmeur de serpent avec le groupe salafiste qui a, admettons-le, déjà réussi à profiter des retombées du raid français pour asseoir encore plus sa base humaine et logistique au nord du Mali.