C'est l'une des villes-clés du continent. Une ville solaire, chaotique et baroque où la musique (endiablée), sur fond d'un Islam joyeux, s'avère un très bon remède contre la misère. Carte postale décalée de la perle du fleuve Niger. Bamako. Quatre heures de vol d'Alger par Boeing. Avant d'embarquer, une précaution de taille : le vaccin contre la fièvre jaune. Obligatoire. Il nous a fallu donc passer, préalablement, par les services de l'Institut Pasteur, boulevard Belouizdad, pour le vaccin antimalaria (facturé à 900 DA) assorti d'un traitement prophylactique pour prévenir le paludisme à base de Mefloquine disponible exclusivement à la Pharmacie centrale. C'est 2700 DA la boîte (Larima 250 mg). Le traitement est censé être entamé 10 jours avant le départ et poursuivi quatre semaines après le retour de la zone d'endémie. Bien que l'enregistrement ait été fait et notre sac à dos envoyé dans le tapis à bagages, nous nous sommes vus « refoulés » de la façon la plus officielle par une représentante des autorités sanitaires. « Monsieur, vous ne partirez pas ! », nous dit-elle d'un ton péremptoire après avoir examiné avec une moue perplexe notre livret sanitaire portant l'enseigne de l'OMS. « Votre vaccin n'est pas entré en action. Il vous faut attendre au moins dix jours avant de pouvoir embarquer », explique la doctoresse de l'aéroport international Houari Boumediene. « Un pilote est mort, récemment, des suites d'une maladie qu'il a chopée là-bas. On ne badine pas avec ces choses-là », enchaîne plus loin un officier de police. Nous avons, ainsi, été contraints d'ajourner notre voyage avant de sauter dans le premier avion sitôt le vaccin « opérationnel ». Il faut savoir que quatre vols hebdomadaires assurent la liaison Alger-Bamako. Cela en dit long sur l'importance des échanges avec notre meilleur allié subsaharien. D'ailleurs, il n'y a pas de visa entre l'Algérie et le Mali. Le billet, en revanche, est excessivement cher : 102 293 DA. Oui : 10 millions de centimes et de grosses poussières. Le vol est clairsemé au départ d'Alger avant de faire le plein à Niamey où il devait faire escale. Les vols « africains » d'Air Algérie fonctionnent, de fait, par « boucle ». Ils font toujours, en sus de Bamako, d'autres capitales du continent noir, principalement Niamey et Dakar, selon leur itinéraire. Réveil sur le fleuve Niger A notre arrivée à l'aéroport de Bamako-Sénou, il est déjà 2h du matin. A peine un pied dehors qu'une meute de rabatteurs en tout genre se jette sur nous, qui pour insister à prendre nos bagages, qui pour nous proposer un hôtel, un taxi ou simplement du change. Le taux officiel est de 650 francs CFA pour 1 euro. Ainsi, 1 FCFA vaut dans les 15 DA. Une vieille Dacia (sur le modèle R12) complètement déglinguée, nous dépose dans un hôtel du centre-ville pour la coquette somme de 15 000 F CFA (plus de 20 euros) la course. Les hôtels bamakois sont globalement corrects. Prix moyen d'une chambre : 25 000 F CFA (40 euros) avec climatiseur. Au petit matin, Bamako émerge de son sommeil avec des clameurs de souk. Il fait 33°. Le climat est quelque peu humide. La végétation, dense, luxuriante, nous projette en plein dans un décor tropical. Bamako apparaît comme une ville solaire se prélassant avec volupté sur les rives du fleuve Niger, appelé aussi Djoliba, le « fleuve du sang ». Le fleuve irrigue la ville. Des pêcheurs hissés sur des pirogues y jettent leur filet tandis que des navettes fluviales s'apprêtent à dériver vers Mopti au nord, en pays dogon. Comme Le Caire populaire a le Nil pour y noyer sa peine, Bamako se console dans les bras du fleuve Niger. Une ville bouillante, grouillante, avec ses deux millions d'âmes, concentré de toutes les ethnies du Mali. Ville tentaculaire, métallique, bavant de marchandises et assourdie par la pollution sonore produite par des essaims de motos, le moyen de locomotion le plus populaire au Mali. Un déluge de motos qui nous réveille à chaque fois de notre torpeur causée par la moiteur ambiante avec une stridence de cigales. De surcroît, la ville donne l'impression d'être un bazar de quincaillerie avec tous ces magasins de ferraille qui y pullulent au point de faire de l'ombre par endroits à la flore environnante. Ville commerçante comme toutes les métropoles africaines, Bamako est un marché à ciel ouvert. Aux abords des ministères, des administrations publiques, autour des arrêts de bus, partout des vendeurs. Des femmes avec des paniers vissés sur la tête et pleins de fruits exotiques : mangues, pommes, bananes, ananas se pavanent ou se pâment sous des manguiers plantureux en proposant leurs denrées, un bébé langé dans le dos. Virée au marché rose Le marché Rose est l'une des attractions de la capitale malienne. Il a été dévoré par les flammes en 1993 et repeint de cette couleur, ce qui explique son nom poétique. Le marché est noir de monde. Un guide nous propose une virée en pays dogon. Un autre quidam nous apostrophe pour essayer de nous fourguer un morceau de résine de cannabis à 500 F CFA (moins de 100 DA). Les marchandises viennent de tout le continent ou presque. L'artisanat y occupe une place de choix. Tous les espaces entourant le marché sont squattés, de même que ceux bordant la (pittoresque) gare ferroviaire. Tout le quartier est envahi par les camelots, jusqu'aux abords du Square Patrice Lumumba et le long de la rue Modibo Keita. Cette artère, l'une des plus importantes de Bamako, abrite une agence Air Algérie, un autre indice, si besoin est, de la qualité des relations entre les deux pays. Mustapha Benfodil Les amateurs de football ont déjà une idée de ce rapprochement à travers le contingent de joueurs maliens qui évoluent dans le championnat national, à l'image de Cheikh Omar Dabo (ex-JSK, actuellement au FC Havre), Moussa Coulibaly (MCA) et autres Mintou Doucouré (USMA). Les mélomanes, eux, connaissent davantage les Ali Farka Touré, Salif Keita et autres Tinariwen. De leur côté, les Maliens, surtout les vieux, aiment à rappeler que Boutef avait pris ses quartiers à Gao durant la guerre de Libération, ce qui lui vaudra, d'ailleurs, le surnom de « Abdelkader El Mali ». ATT (comme on se plaît à désigner le président malien Amadou Toumani Touré) dira de lui : « C'est le plus Malien des Algériens. » « Misère arc-en-ciel » Pour qui arrive pour la première fois à Bamako, la première impression est celle d'une ville bigarrée aux couleurs vives conférant à la désolation dominante l'aspect d'une misère arc-en-ciel. Sentiment accentué par les humeurs d'un climat au tempérament versatile. C'est la mousson, comme dans toutes les régions tropicales en cette période de l'année. Par moments, il se met à pleuvoir averse. Des pluies battantes qui ne tardent pas à transformer Bamako en un immense cloaque, mettant à nu ses fanges dissimulées. Disons-le sans détour : Bamako n'est pas véritablement sensationnelle, à moins de ne lui trouver du charme, précisément, dans cette étrange « barocité » chaotique. La ville reflète, au demeurant, l'état d'un pays répertorié par le PNUD comme l'un des plus pauvres de la planète. Les trottoirs sont défoncés, les égouts éclatés. L'éclairage public est vacillant dans beaucoup de quartiers. Il n'est pas jusqu'aux bâtiments officiels qui ne soient affectés par cette dégradation généralisée. De larges secteurs de la société malienne dépendent de l'aide publique ou internationale quand ils ne sont pas tout bonnement réduits à la mendicité. Heïdi Jo, une touriste américaine, revient choquée du pays dogon. « Je ne m'attendais pas à une aussi grande misère. C'est à se demander où vont les aides internationales et les dons des ONG », s'étonne-t-elle. Sur les routes, des nuées d'enfants assaillent les taxis-brousse de passage en criant « gatobé » (gâteau en bambara). Les restaurants sont plutôt rares, et les supérettes et autres épiceries sont passablement achalandées. Le transport en commun est assuré par des carcasses de fourgons de couleur verte dont on a supprimé les vitres. L'essence se vend dans des bouteilles à l'attention notamment des motocyclistes. L'architecture de Bamako reste typique de la région, genre afro-soudanais. Les bâtisses de style colonial, héritées de l'époque du Soudan français, abritent l'essentiel des ministères. Cependant, vous ne manquerez pas de voir aussi quelques immeubles d'allure contemporaine à l'instar du magnifique building abritant le siège de la BCEAO, la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest, un imposant bâtiment qui trône comme un obélisque au milieu du quartier du Fleuve. Bamako a aussi sa grande mosquée, érigée à l'initiative des Saoudiens. Le nouveau pont qui enjambe le fleuve Niger porte, d'ailleurs, le nom du roi Fahd Ibn Abdelaziz. Des boutiques de hidjabs commencent à faire leur apparition. Sur certains cars, des slogans religieux du genre « Allahou Akbarou. » Mais on aurait tort d'y voir un signe de fondamentalisme. L'islam malien est ouvert et joyeux. Aucune comparaison avec notre rigorisme étouffant. D'ailleurs, sur les mêmes cars, ne soyez pas surpris de voir un autocollant à la forme d'un préservatif dans le cadre d'une campagne antisida, avec ce slogan alliant humour et pédagogie : « Roulez protégé. » Les bailleurs de fonds khalidjis se manifestent par toutes sortes, d'œuvres philanthropiques. Ils seront vite concurrencés par l'inénarrable colonel Al Kadhafi. On relève, en effet, l'intervention très active des capitaux libyens dans le paysage urbain bamakois. Toute la nouvelle cité administrative de Bamako est financée par la Jamahiriya. Persévérant dans sa « diplomatie 5 étoiles », Kadhafi a fait racheter par son pays nombre de chaînes hôtelières qui sont désormais affublées du label « Libya ». C'est le cas du Sofitel de l'Amitié et du palace Kempinski devenu Libya Kempinski El Farouk. A noter, aussi, une forte présence chinoise, les Chinois s'étant adjugés d'importants chantiers même ici. Fait surprenant à Bamako comme dans d'autres régions du Mali (il nous a été donné de le constater au Forum des Peuples qui s'est tenu dernièrement à Sikasso) : la remarquable vivacité de la société civile malienne. Démocratie ATT Le seul quartier d'Hamdallay, dans la banlieue de Bamako, compte une pléthore d'ONG. Une forêt d'enseignes citoyennes. La presse jouit d'une liberté de ton appréciable. Les journaux -– qui se répartissent sur une multitude de titres -– sont d'une facture rudimentaire pour certains, il faut bien le dire. Cependant, nos confrères maliens sont très impliqués sur le front des idées et dans les débats citoyens. En témoigne la mobilisation de la corporation des journalistes maliens suite à l'arrestation, le 14 juin dernier, du journaliste Seydina Oumar Diarra du quotidien Info-Matin pour une affaire d'atteinte à l'honneur du président ATT. L'audiovisuel suit assidûment la même voie comme l'atteste la floraison de radios libres que comptent Bamako et d'autres villes du Mali. Des agences de marketing politique ont commencé à voir le jour à la faveur de l'ouverture démocratique initiée après la chute de Moussa Traoré en 1991. La démocratie façon ATT marque, ainsi, de bons points tout comme sa voisine mauritanienne. Mais le gros problème du Mali reste la pauvreté. Les ressources principales du pays, à savoir l'or et le coton, ne suffisent pas à doper le PIB. Heureusement que la culture sauve la face. Le CCF reste l'une des places fortes de l'animation culturelle. Le musée d'art moderne de Bamako vaut largement le détour. Sans compter les Rencontres africaines de la photographie qui font la réputation de la capitale malienne ainsi que le Festival des réalités, un important rendez-vous théâtral jumelé avec la ville d'Angers, en France.