Les ressortissants algériens reconnaissent que des efforts sont fournis mais exigent plus d'allégement pour réduire davantage le temps d'attente pour les formalités. Mais l'afflux est tel que l'attente est parfois inévitable. Jeudi 29 juillet. Il est 8h45 et la gare maritime grouille déjà de monde. À l'entrée, une vingtaine de personnes attendent l'arrivée de leurs proches. Le bateau Tassili, qui a pris la mer depuis Alicante, accostera dans un petit quart d'heure. Officiellement, le navire arrive à 8h. Mais on appréhende toujours les retards auxquels même le transport maritime n'échappe pas. Et ce fut le cas, malheureusement, en cette journée caniculaire. L'ordre de mission et la carte de presse que nous refilons aux agents de sécurité postés à l'entrée ne nous ouvrent point le portail de la gare maritime. Il a fallu patienter une quinzaine de minutes pour que le directeur de l'infrastructure portuaire arrive. D'emblée, M. Slimane se propose de nous faire visiter la gare maritime et de nous orienter sous le regard vigilant d'un agent de sécurité. En fait, il n'est pas question de se balader en solo et en toute liberté dans les différents coins et recoins du port, même pour un simple reportage. En attendant donc l'arrivée du bateau, M. Slimane nous fait visiter l'infrastructure. Il guide nos pas et surtout justifie toutes les critiques qui fusent derrière nous. Le reportage sur le retour des ressortissants algériens au pays natal se transforme beaucoup plus en un reportage sur la gare maritime qui en dit long sur les conditions d'accueil des ressortissants. Une gare lugubre et insalubre Il était presque 8h30 quand nous entamons la visité guidée en compagnie du directeur de la gare maritime. Direction : le circuit des départs. Un endroit des plus lugubres et insalubres. Cela nous rappelle les parkings à étages de la capitale. Sur le plan architectural, il manque d'éclairage seulement, car s'agissant de la propreté des lieux, les parkings sont beaucoup plus propres que cette zone sinistre où les passagers passent de très longues heures avant d'embarquer vers une destination meilleure. Des bouteilles d'eau minérale, des boîtes de jus, des paquets de cigarettes, des restes de nourriture et toutes sortes de détritus, même des couches pour bébé, jonchent le sol. Les fameux bacs verts prévus pour les déchets débordent. “Vous voyez dans quel état les passagers nous livre le circuit des départs !” lance notre guide. Et d'ajouter : “Un bateau est arrivé hier soir de Marseille et les agents de nettoiement n'ont pas eu le temps de tout nettoyer. Tout sera nickel avant l'heure de départ du prochain bateau aux environ de 15 heures.” Le premier responsable de la gare maritime regrette le comportement des passagers. “C'est vraiment désolant. Les voyageurs manquent de civisme et font ici ce qu'ils ne se permettent pas ailleurs. Ceci fait doubler le travail des agents. Mais que pouvons-nous faire ? Nous sommes un service public, donc obligés de faire face à tout.” Notre guide nous fera savoir qu'il est à cheval sur la propreté de la gare maritime. Il en veut pour preuve le fait qu'il se soit tourné vers le privé pour le nettoiement de l'infrastructure. “Cela me permet d'être exigeant et de demander aux agents de refaire le travail.” L'état des lieux est tel que l'on croirait qu'ils n'ont pas été nettoyés depuis la précédente saison estivale. D'ailleurs, pour notre guide, “le port est le lieu le plus insalubre de la capitale. Il faut dire que la partie de la bâtisse réservée aux départs des autos passagers est dans un état de délabrement avancé”. “On ne peut faire du neuf avec du vieux”, lance le directeur de la gare maritime bâtie par le colonialisme français en 1938. Et d'expliquer : “Pour mieux gérer l'afflux des estivants, nous avons réaménagé des hangars de marchandises en circuit de départ.” Il semblerait que les responsables aient pensé beaucoup plus à trouver un nouvel espace pour les véhicules qu'à offrir un lieu plus convivial pour les conducteurs et leurs accompagnateurs. Point de commodités. Sauf des toilettes infectes. Les familles qui comptent, parfois, parmi eux des bébés et des personnes âgées doivent attendre la tournée des jeunes vendeurs de jus, d'eau et de sandwichs qui circulent en poussant leur chariot. Quant aux petits commerces qui existaient avant, ils ont été contraints de baisser rideau. “Le premier responsable des douanes pense qu'aucun étranger n'a le droit d'être dans une zone sous douane.” Mieux vaut être piéton qu'auto passagers Nous quittons le terminal des départs vers le niveau supérieur, réservé à l'accueil des passagers qui arrivent de l'étranger. Etant partiellement éclairée par un soleil de plomb, cette zone donne l'impression d'être moins sinistre que celle des départs. Mais les conditions sont pratiquement les mêmes. Point de commodités. Pourtant, à ce niveau aussi les derniers autos passagers passent de longues heures pour accomplir les formalités douanières et policières nécessaires. Conclusion : pour s'épargner cette mésaventure, le voyageur qui opte pour le transport maritime pour diverses raisons doit renoncer à son véhicule. Car mieux vaut être piéton qu'auto passager. Le circuit réservé à cette catégorie de voyageurs est aux antipodes de celui des passagers qui s'encombrent avec leurs voitures bourrées. Mais que faire ? Ce sont, en général, des familles qui prennent la route vers d'autres wilayas du pays. Les lieux sont nickel et offrent certaines prestations. Même la climatisation est prévue dès que les premiers passagers arrivent. Idem pour les toilettes fermées à clé jusqu'à l'arrivée des voyageurs. À la question pourquoi ce timing pour l'ouverture des toilettes et le fonctionnement de la climatisation, M. Slimane nous dira tout simplement : “Je suis là pour garantir des prestations aux passagers non au personnel de la gare. Si je laisse les toilettes ouvertes, elles seront infectes d'ici l'arrivée des passagers. Voyez vous-mêmes, les gens qui occupent la salle d'attente ne sont pas des voyageurs.” À ce moment, une jeune fille en tenue de douane accourt vers nous et lui lance : “S'il vous plaît, monsieur, j'ai besoin d'aller aux toilettes et elles sont fermées.” “Il y a des toilettes à l'extérieur, vous n'avez qu'à les utiliser”, lui répond-il. Et de nous confier : “Elle a été envoyée par ceux que je dérange car je suis strict.” mécontentement général Ce qui a été frappant lors de notre passage à la gare maritime d'Alger est cette contestation affichée par tous ceux que nous y avons croisés envers le responsable qui a joué au guide pour nous. Il semble que ce responsable de l'entretien de l'infrastructure portuaire ne fait pas l'unanimité. Sa gestion est pointée du doigt par le personnel, les agents de sécurité, les agents de nettoiement et même ses partenaires de l'ENTMV. Le chef d'escale de l'Entreprise nationale du transport maritime n'y est pas allé avec le dos de la cuillère avec son collègue de la gare. Mme Benberrah Saléha n'a pas eu froid aux yeux en l'affrontant directement au milieu de la gare maritime. Tout a commencé dans la matinée, à notre arrivée. Le chef d'escale et un autre fonctionnaire n'ont pas cessé de perturber la visite guidée que nous avons effectuée avec M. Slimane par des critiques. Ils nous suivaient presque au pas pour, disent-ils, “remettre les pendules à l'heure et dire la vérité telle qu'elle est et non telle que notre guide le veut”. Le chef d'escale de l'ENTMV le défie : “Dites la vérité à la presse. Moi, je ne cacherai plus rien.” En réponse, M. Slimane lui demande de nous laisser travailler et de dire tout ce qu'elle a sur le cœur après. Mais la situation est telle que le cœur de Mme Benberrah risque de cesser de battre s'il ne se vide pas sur-le-champ. “Les passagers paient des prestations qu'on ne leur accorde pas. Ils arrivent ici et trouvent des toilettes aussi infectes que toute l'infrastructure. Les conditions d'accueil laissent à désirer et nombreux sont les passagers qui nous confient qu'ils appréhendent leur venue au pays et parfois y renoncent carrément.” Et de s'interroger : “Qu'a-t-on fait avec l'enveloppe de 22 milliards de centimes qui a été déboursée ces dernières années pour l'entretien et la rénovation de la gare maritime ?” Partout où nous sommes passés, des fonctionnaires, y compris ceux en tenue, ont dérogé aux règles d'usage pour énumérer une série de griefs. C'est surtout les conditions de travail qui sont mises en avant. Le vestiaire des agents de sécurité est dans un état lamentable. “Ils ont squatté les toilettes et les ont transformées en vestiaires”, réplique M. Slimane. Les quelques agents de nettoiement reconnaissent que la charge de travail est très lourde pour un salaire de 14 000 DA. Des passagers partagés et non informés Le Tassili, dont l'arrivée était prévue à 8h, n'a accosté qu'aux environs de 10h. Pas moins de 150 autos passagers, venus en famille pour la quasi-totalité, vont débarquer. Les véhicules immatriculés en France, en Espagne et même en Algérie, s'alignent. Le chef de famille se charge des formalités au niveau de la PAF puis des services des douanes. Il faut dire que la décision d'allégement des procédures fait que certaines formalités sont accomplies à bord du navire. Ce qui a largement réduit le temps d'attente. Surtout pour les véhicules arrivés en tête de file. Il était d'ailleurs moins de 11h quand les premières voitures ont quitté la gare maritime. C'est surtout les formalités policières qui prennent le plus de temps. Selon des indiscrétions, le fait que les passagers aient affaire à des agents dont certains exercent pour la première fois au niveau du port explique en partie cette lenteur. Nous avons constaté de visu que l'attente au niveau de la PAF est plus longue que du côté du service des douanes où même la fouille se fait en un tour de main. Mais fatigués par le voyage en mer, les Algériens n'ont qu'une seule idée en débarquant : prendre la route vers la destination de leurs vacances. Le moindre petit retard au port les met en boule. “Les passagers débarquent épuisés par le voyage et les formalités d'embarquement. Une fois au pays, ils sont énervés et deviennent capricieux”, confie un douanier. En fait, vu l'afflux des estivants, l'attente dépend du nombre de voitures qui vous précède. Les premiers ressortissants que nous avons abordés se sont dit fatigués mais prêts à aborder ce dernier virage. “J'ai hâte de finir les formalités et de prendre la route vers Tizi Ouzou. Mais j'ai souffert à Alicante. Car on s'est présenté au port quelque quatre heures avant l'embarquement pour pouvoir être en tête de file à Alger et quitter le port rapidement”, nous dit un père de famille établi en Espagne. Pour lui, “les formalités au niveau du navire ont largement réduit le temps d'attente mais certaines familles ne les accomplissent pas et nous retardent au port (…). On parle énormément d'amélioration mais nous, on n'a pas constaté cela. C'est la même chose chaque année”, nous confie une dame arrivant en famille de France. Son fils la corrige : “Non, ce n'est pas aussi lent que les autres années, mais un dispositif encore moins lent ne sera pas de refus.” Les mesures de facilitation introduites par le secrétariat d'Etat chargé de la Communauté nationale à l'étranger sont jugées “positives” par ceux qui en sont informés. Mais certains ressortissants avouent n'en avoir aucune idée. “Il fallait mettre à notre disposition des prospectus au niveau du navire. Ce n'est pas tout le monde qui a le temps de voir le JT de la chaîne algérienne à l'étranger”, estime un père de famille. Et d'ajouter : “Prendre la route vers Sétif aux environs de 12 ou 14h ne sera pas une partie de plaisir avec cette canicule. Je ne peux pas me permettre de laisser la clim en marche pendant tout le trajet.” Les derniers véhicules ont effectivement quitté la gare maritime aux environs de 14h. Soit une attente de plus de trois heures dans des conditions déplorables.