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Aïcha s'était-elle réellement mariée à 9 ans ?
femmes coraniques
Publié dans Liberté le 29 - 08 - 2010

Lorsqu'on approche cette autre grande dame de l'islam, sinon carrément la plus influente et la plus grande (Que Dieu l'agrée), l'idée première qui vient à l'esprit est de mettre l'éclairage sur son mariage précoce avec le Prophète (P. et S. sur lui). La véracité du hadith rapporté à ce sujet en attribuant les paroles à Aïcha elle-même en laisse perplexe plus d'un sur les conditions de ce mariage. S'agit-il d'un hadith authentique sur lequel il n'y a rien à dire, comme tendent à le faire les tenants tranquilles de la tradition qui ne font aucun commentaire et l'admettent à la lettre ? Pour eux, le hadith est bien authentique et il n'y a aucune gêne pour que la petite adolescente soit demandée à 7 ans et mariée à 9 ans. Bien plus, le hadith est allé plus loin en décrivant les malheurs de l'adolescente qui serait tombée malade en ayant douté de son mariage une fois qu'elle descendit à Médine.
Le hadith de Hicham ibn Ourwah
est douteux
Un hadith rapporté tant par Muslim que par Boukhari, donc classé curieusement authentique, citant Hicham ibn Ourwah, rapporte qu'Aïcha se serait mariée à l'âge de six ou sept ans et que ce mariage aurait été consommé avec elle quand elle eut atteint l'âge de neuf ans. Aïcha a dit : “J'avais six ans lorsque le Prophète m'épousa et neuf ans lorsqu'il eut effectivement des relations conjugales avec moi. Quand nous nous rendîmes à Médine, j'avais eu de la fièvre un mois durant et mes cheveux avaient poussé jusqu'à mes épaules. Ma mère, Oum Roumane, vint me trouver alors que j'étais sur une balançoire, entourée de mes camarades. Quand elle m'eut appelé, je me rendis auprès d'elle sans savoir ce qu'elle voulait de moi. Elle me prit par la main, me fit rester à la porte de la maison jusqu'à ce que j'eusse pris mon souffle. Elle me fit ensuite entrer dans une maison où se trouvaient des femmes des Ansars qui me dirent : ‘À toi le bien, la bénédiction et la meilleure fortune!'. Ma mère m'ayant livrée à ces femmes, celles-ci me lavèrent la tête et se mirent à me parer. Or, rien ne m'effraya, et quand l'Envoyé d'Allah vint dans la matinée, elles me remirent à lui.”
Aujourd'hui encore, les gens se basent sur ce hadith pour faire admettre ces faits presque naturellement ou comme si le Prophète (P. et S. sur lui) avait une dérogation divine spéciale pour se permettre exclusivement ce mariage hors normes. C'est suffisant pour que les adversaires et ennemis du Prophète et de l'Islam en font leur cheval de Troie pour partir en guerre contre eux en versant leurs critiques et leurs attaques. Or, les observations d'exégètes éclairés s'étaient rendu compte de la faiblesse de véracité de cette information, aussi bien du point de vue de la source de transmission que celui de la raison et de la logique.
Ils émettent à juste titre des doutes et avancent d'autres hypothèses plus plausibles, à notre sens et à notre conviction, en étant plus proches de la réalité et de la place du Prophète (P. et S. sur lui). Lui-même disait que la religion est quelque chose de logique. Si vous voyez des choses anormales et loin de la raison, ne les prenez pas comme étant exactes. Ce hadith se vérifie entièrement lorsqu'il s'agit de passer au peigne fin le hadith sur le mariage à neuf ans de Aïcha. En plus de la faiblesse de la source évoquée par les savants, il y a le bon sens qui la réprouve. On a tendance à accepter pour argent comptant tout ce qui est rapporté sur le Prophète (P. et S. sur lui), même si cela nuit à son rang et sa place sans le moindre décernement.
Le manque de calendrier
Ce hadith avait choqué, en effet, plus d'un savant musulman, dont des exégètes de la trempe des imams, comme Tabari, Ibn Is'haak et Ibn Khathir, qui ont tous réfuté la teneur en cherchant à comprendre le mystère et à mieux la nuancer en faisant des recoupements pertinents et mieux crédibles. Des doutes sont exprimés par les identificateurs de hadiths sur le rapporteur Hicham ibn Ourwah, qui avaient transmis des hadiths à partir d'Irak, vu son âge avancé d'abord qui dépassait les soixante-dix ans et souffrant de troubles de mémoire ensuite.
Deuxième argument de taille, la référence avec précision de l'âge et même du mois est également sujette à controverse du fait qu'il n'y avait pas à cette époque de calendrier fixe adopté par les Mecquois et les gens de Médine. La première référence fut celle instituée un peu plus tard par le calife Omar qui officialisa l'année hégirienne par suite justement des difficultés rencontrées dans les correspondances et les besoins de la vie politique, religieuse, sociale et économique. Aïcha n'est pas seule dans le domaine. Les exégètes demeurent partagés sur l'âge de Fatima-Zohra et même celui de sa mère Khadidja (Que Dieu les agrée) et la date de mariage avec le Prophète (P. et S. sur lui), remettant en cause la différence d'âge entre eux. Certains avancent dix ans au lieu de quinze cités couramment et sans aucune nuance par les rapporteurs. Cette thèse est plausible et soutenable du fait que Khadidja ne pouvait continuer à enfanter régulièrement au-delà de la cinquantaine.
Les chiites soutiennent que Fatima (Que Dieu l'agrée) était née cinq ans après le début de la Révélation, c'est-à-dire que Khadidja dépassait les 55 ans au moment de l'accouchement, chose difficilement pensable. Pour les sunnites, la date de naissance était avancée du même nombre, soit une différence de dix ans entre les deux versions. Où est la vérité, où est la fiction ?
Boubakeur et Rodinson
Troisième argument évoqué, les exégètes et chercheurs, notamment modernes, qui se sont penchés sur le thème, dont Hamza Boubakeur et l'orientaliste Maxime Rodinson, n'excluent pas une erreur d'appréciation de Aïcha elle-même qui, justement, avait hérité du manque de calendrier, d'où l'imprécision dans le calcul de l'âge, phénomène courant dans la presqu'île arabique.
Quatrième argument avancé est l'adaptation rapide de la jeune adolescente au foyer du Prophète (P. et S. sur lui) en réussissant en peu de temps à occuper son cœur au plan sentimental, à s'initier complètement dans l'apprentissage du Coran et du hadith, à prendre en charge sa vie privée et à s'imposer surtout comme la première épouse du harem, respectée de tous.
La jeune Aïcha s'était distinguée du vivant du Prophète et juste après par des prises de position de grande dame à l'esprit mûr, d'une expérience avérée et d'une vision éclairée en étant consultée par le Prophète et les compagnons dans les moments critiques. Une adolescente de presque neuf ans pouvait-elle le faire et se transformer rapidement pour devenir sinon la première référence dans la transmission de la sunna, du moins parmi les meilleures ? Cinquième argument et non des moindres, la proposition de demande en mariage de Aïcha a été acceptée par le Prophète (P. et S. sur lui), agréée par Dieu tout Glorieux avec le consentement des parents et la bénédiction des anges, à leur tête l'Ange Gabriel, ainsi que de celles des compagnons les plus rapprochés et de tous les croyants. Tout ce beau monde ne peut pas tomber d'accord sur des choses inacceptables allant contre la norme et la logique.
L'hypothèse des grands imams
Tenant compte des facteurs qui militent pour la remise en question du hadith d'Ibn Ourwah, Hamza Boubakeur préfère l'hypothèse selon laquelle le Prophète aurait effectivement demandé Aïcha à l'âge de neuf ans, mais l'approche aurait été retardée jusqu'â l'âge de la puberté. L'avis des imams Tabari, Ibn Ishaak et Ibn Khathir est le mieux équilibré en situant l'âge de mariage entre 14 et 18 ans. Le discernement et le raisonnement paient à côté de la véracité dans les transmissions des faits, au grand désappointement des mauvais salafistes qui ne veulent pas en entendre parler.
Ce faisant, ce n'est pas le seul accroc qui poursuit cette grande dame qui a marqué de son empreinte l'histoire de l'Islam. Une fois grandie, une autre épreuve visant son honneur et sa dignité éclata au grand jour, mais qu'elle affronta avec courage et conviction jusqu'à la proclamation de son innocence directement par Allah.
Prochain article : L'événement du mensonge.
S. B.
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