Cheikh Khaled Bentounes ne s'en cache point, et au contraire le proclame haut et fort. Il se veut en effet l'homme du dialogue interreligieux et de l'ouverture. De l'étranger qu'il parcourt sans cesse en sa qualité de premier responsable de la tarîqa Alawiyya qui compte de nombreux adeptes dans le monde, il a bien voulu nous entretenir sur cette position éminemment actuelle, dans une longue déclaration dont nous reproduisons ci-après des extraits essentiels. Ecoutons-le. C''est dans le livre sacré, le Coran, que se trouve la base textuelle qui permet une interprétation pluraliste et dément l'exclusivisme justifié par certains musulmans. D'autre part, le Coran nous met en garde contre l'exclusivisme doctrinal qui porte en lui les germes potentiels de violence qui peuvent se traduire et s'exprimer par des formes religieuses destructives. Quant à la Sira' nabawiyya qui relate les paroles, les faits et les gestes du Prophète Mohammed (QSSSL), ainsi que l'histoire de la première communauté musulmane, elle nous invite à relire les évènements et à en tirer les leçons quant aux rapports des musulmans avec les autres communautés. Depuis le début de sa mission et jusqu'à son rappel à Dieu, le Prophète n'a cessé de dialoguer, d'œuvrer et de rassembler tous les hommes sans exception autour du principe fondateur de l'islam : al-tawhid. Les onze premières années de son apostolat à La Mecque et de ses alentours a'taif etc. furent tous consacrés à appeler et à exhorter les siens et tous les hommes à la Vérité, à l'immanence et la transcendance du Dieu unique de toute la création. Les agressions et les contraintes auxquelles ont dû faire face le Prophète et la communauté musulmane obligèrent une partie de ses compagnons à immigrer, quitter leur patrie La Mecque pour aller en Ethiopie où ils trouvèrent refuge auprès du roi chrétien le négus (anajjachi). La nouvelle du décès du négus, le Prophète réunit ses compagnons à Médine pour la prière mortuaire de l'absent en souvenir de l'accueil qu'il a fait aux musulmans. En l'an 1 de l'Hégire, réunissant toute la communauté de Médine musulmans et non musulmans, il a proclamé l'acte fondateur de la première cité islamique donnant naissance à la Oumma, marquant ainsi le pacte religieux et politique qui unissait tous les habitants pour le meilleur et le pire. Cette allégeance au Prophète (ssp) par tous les représentants des tribus y compris les tribus juives (les Khazrajs et les Banous Nadir) qui habitaient Médine et ses alentours pour un même destin à savoir vivre en paix et apporter aide et mutuelle assistance. En l'an 5 de l'Hégire, c'est autour des chrétiens de la ville de Najran au sud de l'Arabie de venir signer le pacte avec le Prophète avec une délégation de 70 personnes à leur tête l'évêque de leur communauté. Durant leur séjour, ils voulurent célébrer la fête de la Pâque. Ils demandèrent au Prophète un lieu pour leur célébration. L'envoyé de Dieu leur répondit que le meilleur endroit est la maison de Dieu : la mosquée du Prophète. Peut-on aujourd'hui évaluer les conséquences d'un tel acte ? Tous ces faits sont exacts et toute personne peut les vérifier. Elles sont rapportées fidèlement par les historiens musulmans. L'Afghanistan, la Tetchénie, etc. À l'instar du Prophète, des hommes ont incarné la droiture, la justice comme la vérité morale libre de toute considération sociale, raciale ou culturelle. Ils nous rappellent qu'il y a un grand fossé entre l'islam mohammadien authentique et un islam fanatique et perverti dont l'ignorance ou les intérêts justifient les crimes et les débordements. Je prendrai comme premier exemple le père fondateur de la nation algérienne l'Emir Abdelkader qui prie à Damas sous sa protection la communauté chrétienne et européenne lors des émeutes de juillet 1860. Il permit à plus de 12 000 chrétiens d'échapper au massacre et face à une foule déchaînée, il s'interposa au péril de sa vie et lui cria : “Les religions et en premier chef l'islam sont trop nobles et trop sacrés pour être un poignard d'ignorance ou une faucille d'aliénation ou des cris vulgaires… Je vous mets en garde de vous laisser entraîner par le diable de l'ignorance ou qu'il ait une emprise sur vos âmes.” Plus encore, voyant la menace de la foule grandir, il prononça une phrase décisive : “Je ne livrerai pas un seul chrétien, ce sont mes frères, retirez-vous ou je donne à mes hommes l'ordre de faire feu.” Vous comprendrez peut-être le sens du combat que nous menons au quotidien autant que musulmans croyants en ces valeurs pour changer l'image déplorable et les torts qui sont faits à cette noble religion. Bien sûr, que l'actualité médiatique ne valorise pas le dialogue religieux et interculturel. Neuf ans après, nous vivons encore sous l'emprise du 11 septembre 2001 avec la destruction suicidaire des tours jumelles de New York. La guerre injuste et préfabriquée en Irak justifiant le prétendu choc des civilisations est considérée par certains comme une guerre confessionnelle. Un amalgame entretenu dont les premiers à souffrir sont les Irakiens musulmans sunnites et chiites ainsi que les chrétiens. Le conflit israélo-palestinien, blessure ouverte depuis plus de soixante ans, une honte pour les responsables politiques du monde de quelques religions qu'ils soient. Et tant que justice ne sera pas faite à ce peuple martyr, le monde ne pourra trouver la paix et l'entente. L'Afghanistan, la Tetchénie; etc., tous ces conflits perturbent et découragent le dialogue. Mais pourtant, sans dialogue il n'y aura nulle paix entre les hommes, il est un défi majeur pour l'avenir. Un engagement personnel et collectif est nécessaire pour répondre aux maux et aux souffrances d'une grande part de l'humanité. Il est un style, une façon de vivre, une attitude de l'esprit qui accueille et respecte l'autre dans sa dignité, son identité, son expression propre et les valeurs spirituelles et religieuses auxquelles il est rattaché. Il est un comportement au quotidien qui nous oblige à corriger, à freiner nos ardeurs, à remettre en cause nos préjugés, nos stéréotypes et nos jugements en porte-à-faux sur nos semblables. Il nous apprend à nourrir notre conscience dans le sens de la fraternité humaine, de la découverte de l'autre et de soi-même car l'autre est notre miroir qui reflète nos qualités et nos défauts. Il nous interroge enfin sur la réalité de notre propre humanité et du vécu de notre intériorité. Quelle place, quel sens donnons-nous au message religieux dont nous nous proclamons ? Quelle générosité, quel amour sommes-nous capables de partager avec notre prochain ? Un sage a dit : “Beaucoup d'entre nous quittent la vie sans avoir créé, aucun ne meurt sans avoir détruit”. Faisant le bilan honnêtement de notre vie pour voir quelle action créatrice porteuse d'espérance nous avons été capables de réaliser et de transmettre après notre mort.