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La prison ne nous fait pas peur
Publié dans Liberté le 07 - 09 - 2003

Le pouvoir a décidé de soumettre la presse à la pression de la police et de la justice après avoir épuisé l'argument fallacieux de la commercialité. Lorsqu'une arme ne s'avère pas suffisamment meurtrière, il sort un nouvel arsenal de guerre : le harcèlement judiciaire. Hier encore, la police s'est présentée au siège de Liberté pour déposer deux convocations pour le caricaturiste Ali Dilem ainsi qu'à l'ancien directeur du journal. Si l'on doit s'astreindre à une petite comptabilité, alors faisons nos petits comptes avec la police. Nous sommes à pas moins de 14 convocations en moins de 10 jours. Un petit record en la matière. Hier encore, notre confère du Matin, Mohamed Benchicou, était destinataire de deux convocations. Bref, pour caricaturer, les policiers du commissariat central passent leur temps à traquer et à entendre les journalistes, et ces derniers passent désormais le plus clair de leur temps entre à répondre aux questions des policiers et à déjouer les plans de filature organisés par les services de Zerhouni.
Nous sommes face à un fait inédit dans les annales de la presse algérienne : après avoir payé de fortes rançons pour faire lever les mesures de suspension qui les ont frappées, les journaux doivent encore payer le prix pour leur insoumission au pouvoir de Bouteflika : être déféré devant la police judiciaire, répondre aux questions humiliantes et malvenues des policiers avant de pouvoir s'expliquer devant l'institution la plus à même d'instruire les procès pour délit de presse, c'est-à-dire la justice. Là où se situe le cœur du problème. C'est là où se situe désormais notre action. Nous n'avons pas décidé de refuser de répondre aux convocations de la police par bravade ou par esprit de défiance pour cette institution. Les multiples communiqués de Liberté ont réitéré, avec force, que la police judiciaire n'a rien avoir avec le délit de presse dont l'appréciation légale revient aux seules compétences du juge. Mais, dès lors que le pouvoir de Bouteflika inscrit, sans pour autant avoir le courage de l'avouer et de l'assumer, sa tentative d'étouffer la presse dans une large démarche politique qui consiste à obtenir à tout prix un second mandat, il est de notre droit, peut-être de notre devoir, d'y répondre, d'une manière politique. À son corps défendant, la presse est aujourd'hui amenée à se positionner sur un terrain politique. Ce qui n'est pas, convenons-le, sa vocation. Pourquoi notre action est éminemment politique ? Parce qu'aujourd'hui, on nous reproche de s'attaquer au président de la République. Toutes les plaintes déposées contre Liberté et Le Matin ont trait au président de la République. C'est bel et bien Bouteflika et personne d'autre pour le moment — mis à part l'épisode des bons de caisse pour lequel Benchicou est poursuivi — qui actionne la justice et la police pour harceler la presse parce qu'il s'estime offensé et outragé.
Pourquoi maintenant et pas hier ? Pourquoi attaquer maintenant la presse pour diffamation et outrage alors qu'il aurait pu le faire bien avant son élection, et même durant les quatre années de son mandat, dès lors que la presse n'a jamais cessé de le vilipender et de le vouer aux gémonies ? Parce que, désormais, Abdelaziz Bouteflika ne se comporte plus comme le Président des Algériens, mais comme le candidat à sa propre succession. Son ambition démesurée se passe de toutes les turpitudes et de toutes les forfaitures : dépouiller l'Assemblée élue de ses prérogatives en légiférant par ordonnance ; commanditer un putsch contre le FLN en suggérant à la tête des putschistes un ministre de souveraineté, Abdelaziz Belkhadem, chef de la diplomatie algérienne ; chasser les ministres du FLN pour la seule raison que ces ministres appartiennent à un parti qui lui a refusé sa bénédiction pour un second mandat et, ultime mesure, traquer les rares journaux qui osent lui apporter la contradiction, les rares journaux qui ont osé, qui osent et qui vont encore oser mettre à nu ses insuffisances, qu'elles soient grandes ou petites.
Au bout de cette cabale policière et judiciaire, qu'est-ce que nous risquons comme journalistes ? La prison ! Faut-il avoir peur de la prison parce que le clan de Bouteflika a la prétention de nous y jeter rien que pour avoir défendu les idéaux de justice, rien parce que nous avons dénoncé l'arbitraire ? Mais, que pèse une journée, deux jours, un mois et des années passés en prison devant la justesse d'un combat pour la justice et la vérité ? Rien. Combien d'hommes et de femmes ont passé au moins une journée dans les geôles pour avoir défendu leurs idéaux ? Des millions. Nous avons fait le choix dans ce journal de mener un combat : celui de la liberté d'informer, celui du droit de savoir et d'informer. Nous l'assumons jusqu'au bout. Si cela doit nous valoir la prison, comme prix à payer pour notre indépendance, alors nous l'assumerons. Quatre collègues de Liberté et plus d'une soixantaine d'autres journalistes de la presse algérienne ont déjà assumé l'ultime prix en payant de leur vie la liberté d'expression en Algérie.
Disons-le encore une fois. Quitte à payer pour que la liberté d'expression survive en Algérie : nous sommes prêts à payer, à tout payer.
F. A.


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