Depuis quelques semaines, le pouvoir soumet la presse indépendante à toutes les formes de pression et d'intimidation. Après avoir épuisé le fallacieux et inopérant argument de la commercialité, il use de la répression contre la presse indépendante. Des journalistes de différents quotidiens sont soumis à d'interminables auditions par la police judiciaire touchant à la fois à leur personnalité et à leurs écrits. Ils doivent s'expliquer, également, sur la signification de chaque titre, de chaque phrase et de chaque point d'interrogation ou d'exclamation contenus dans les articles et dessins incriminés, et dévoiler l'origine de leurs sources d'information. Cette procédure d'inquisition consistant à considérer le journaliste comme un dangereux délinquant et à exiger de sa personne le sens de chaque mot utilisé ou le pourquoi de chaque analyse portée est incompatible avec les missions de la police judiciaire en matière d'enquête préliminaire et dont les prérogatives se limitent à la constatation de l'infraction, à rassembler les preuves et à rechercher les auteurs. Ces éléments de culpabilité, qui rendent l'enquête préliminaire injustifiée, sont affichés dans l'infraction de presse à travers la publicité de la publication, la diffusion de l'article ou de l'écrit et la signature de son auteur. Eu égard à ces considérations juridiques découlant des dispositions du code de procédure pénale, les journalistes sont en droit de ne pas soumettre leurs écrits à l'appréciation de la police judiciaire. Du reste, le ministère public, lors des actions initiées par des administrations publiques, durant le premier semestre de l'année 2002, a fini par reconnaître le bien-fondé de cette procédure en renvoyant directement ces plaintes devant le juge d'instruction. Il est évident que le recours à la police judiciaire procède d'une intention délibérée du pouvoir de soumettre la corporation aux pratiques d'inquisition à même de faire de chaque mot utilisé par le journaliste ou de chaque trait appuyé du caricaturiste la cause de l'audition et la source de la poursuite et de l'accusation. Afin de préserver la corporation de cette procédure injustifiée d'enquête préliminaire et dont les buts visent aussi à canaliser et à embrigader l'information judiciaire, les directeurs de publication décident : 1) de ne plus déférer aux convocations de la police judiciaire ; 2) de réserver leurs explications et moyens de défense à la justice et à elle seule. Le Matin, Liberté, Le Soir d'Algérie, L'Expression, El Khabar, El Watan, El Fadjr, Er-Raï. Conférence de presse des éditeurs du Matin et de Liberté “Nous sommes dans un processus d'agression” Farid Alilat a rappelé que deux nouvelles convocations ont été adressées, hier, au journal s'ajoutant aux douze dejà reçues. Mohamed Benchicou et Farid Alilat, directeurs, respectivement, des quotidiens Le Matin et Liberté, ainsi que le caricaturiste Ali Dilem ont animé, hier après-midi, à la Maison de la presse Tahar-Djaout, une conférence de presse dans laquelle ils ont alerté l'opinion publique nationale sur le harcèlement judiciaire et informé de leur décision de ne plus répondre aux convocations de la police judiciaire. Pour le responsable du Matin, la cabale lancée contre certains titres est “un processus d'agression contre les journaux qui ont révélé des scandales, accompagné le mouvement citoyen et ouvert leurs colonnes à des Algériens, comme M. Saâdaoui”. M. Benchicou a aussi estimé que ce “processus de sanctions (…) a atteint un stade inquiétant”, précisant plus loin que les sanctions judiciaires concernent, à présent, des journalistes qui se sont exprimés sur “le clan présidentiel”. Le directeur de Liberté est allé dans le même sens, en expliquant que lors des interrogatoires dont il a fait l'objet récemment au commissariat de police, les articles incriminés sont ceux-là mêmes qui traitaient du président de la République. M. Alilat a, par ailleurs, fait état de quatorze convocations envoyées par la police judiciaire, en rappelant également les deux convocations adressées, hier matin, à Dilem et à l'ancien directeur de publication de Liberté. Quant au caricaturiste, ce dernier a indiqué que le refus de se présenter à la police n'est certainement pas “un mépris” et déclaré qu'il a “confiance en la justice algérienne”. Maître Miloud Brahimi, présent à la conférence de presse, a révélé que, selon le code pénal, les personnes refusant de répondre aux convocations seront ramenées par la police près le procureur de la République. L'avocat et militant des droits de l'Homme a encore remarqué que, dans les autres pays, aucun journaliste n'est interrogé par la police, étant donné que celui-ci n'est ni un voyou ni un terroriste. Hier, en fin d'après-midi, les éditeurs de huit journaux, Le Matin, Liberté, Le Soir d'Algérie, L'Expression, El Khabar, El Watan, El Fadjr et Er-Raï, ont décidé, dans un communiqué qu'ils ont intitulé “Harcèlement judiciaire”, de “réserver leurs explications et moyens de défense à la justice et à elle seule” (lire en page une le texte intégral du communiqué). Ils ont dénoncé “toutes les formes de pression et d'intimidation” dont est victime la presse indépendante depuis ces dernières semaines. Les éditeurs ont également soutenu que le recours à la police judiciaire procède d'une “intention délibérée” du pouvoir de “soumettre la corporation aux pratiques d'inquisition”. Ils ont justifié leur démarche, en insistant sur la préservation des journalistes de “cette procédure injustifiée d'enquête préliminaire et dont les buts visent aussi à canaliser et à embrigader l'information judiciaire”. H. A.