Le chevauchement de niveaux est banalisé dans les zones rurales, nous explique un instituteur, qui nous apprend que dans sa classe, il y a des élèves de deux niveaux différents, soit troisième et quatrième années primaires. À peine à une heure de route du chef-lieu de wilaya, la toute petite commune de Terchiouine donne tout son sens à l'Algérie profonde. Loin des lumières et des protocoles de la rentrée scolaire officielle, qui se déroule dans la joie, sans bavure, comme une lettre à la poste, ce n'est pas le cas ici. À l'école primaire Mohamed-Laâla, Ameur Karim, jeune directeur, et les deux instituteurs de langue arabe et de français étaient présents pour donner le coup d'envoi à cette rentrée scolaire, en dépit de moult difficultés. Ces derniers se sont refusés de priver les élèves, dont certains ont fait plus d'une heure de marche à pied pour rejoindre les bancs de l'école. À peine 46 écoliers, filles et garçons, dans cette zone considérée comme déshéritée, deux salles de cours dans un piteux état, une cantine sans robinet d'eau potable, et le reste n'est pas mieux loti. Et surtout aucune présence des officiels. C'est dans une salle de classe où l'instituteur rencontre ses élèves pour ce premier jour de rentrée, après les vacances d'été, que le directeur, M. Ameur, nous a reçus car il n'a pas de bureau. FraÎchement installé, le chef d'établissement ne cache pas son mécontentement, cependant il reste diplomate et avec une grande habileté, il nous dit : “Je suis nouveau ici, je fais acte de présence depuis le début du mois. J'essaye avec les moyens du bord de rendre la vie scolaire la plus supportable possible mais croyez-moi c'est loin d'être gagné, pour la simple raison que je n'ai aucun moyen. Pour preuve, je vous reçois dans une salle de cours. Je suis directeur d'établissement, je donne des cours car je suis aussi instituteur, mais aussi je suis chargé de gérer la cantine, qui ne démarre qu'a la fin du mois, ce qui est dommage pour les enfants des hameaux qui habitent à plus d'une heure d'ici, mais à quelque chose malheur est bon, ça me donne peut-être le temps de régler le problème de l'eau courante, qui n'est pas disponible et ça nous pose un grand souci.” Un peu amusés, les élèves nous parlent tour à tour et en chaoui de leur premier jour de rentrée scolaire. Certains, aussi bien filles que garçons – ils sont au nombre de 22 écoliers – traversent un oued ; ils font une heure de route pour rejoindre l'école. Ighighathen, leur petit douar, se trouve de l'autre côté de la montagne. Il leur arrive, nous disent-ils, de s'absenter pendant plus d'une quinzaine de jours, quand il fait froid ou qu'il neige, où la température peut descendre jusqu'à moins 10 degrés. Les conditions de vie très dures, un climat plus dur encore, nous explique l'enseignant de langue arabe natif de la région et qui a occupé pendant des années le poste de directeur par intérim. Le chevauchement de niveau est une chose banalisée dans les zones rurales, nous explique l'instituteur, qui nous apprend que dans sa classe, il y a des élèves de deux niveaux différents, troisième et quatrième années primaires. Ce qui nous ramène à dire que le taux de réussite dans cette école est de 0%, selon les chiffres avancés par le chef d'établissement, hormis 5 élèves qui ont été rachetés. Toute la région semble encore vivre la décennie noire, durant laquelle Terchiouine avait connu les plus horribles atrocités. Les rares citoyens que nous avons rencontrés ne manifestent aucun intérêt à cette rentrée scolaire, pour preuve, ils n'ont pas accompagné leurs enfants. Selon leurs dires, ils n'ont pas les mêmes chances que ceux qui habitent aux environs des grandes villes. À bien y réfléchir on se demande comment est-il possible que les enfants de Terchiouine n'aient pas bénéficié d'un bus de solidarité ? Comment peut-on encore chauffer au mazout (quand il est disponible) des salles de cours hors normes pédagogiques, alors que le chauffage central est disponible dans presque toutes les écoles de la wilaya ?