Vers une dynastie Wade au Sénégal donné dans les années 1980 comme l'exemple même de l'alternance des pouvoirs en Afrique? Abdoulaye Wade veut, envers et contre tout, mettre son fils Karim au pouvoir. L'opposition et la société civile rejettent son offre de monarchie républicaine, qu'à cela ne tienne : le président sénégalais les invite au dialogue, le jour même de l'Aïd El Fitr, pour “construire un Sénégal de paix et de progrès”. C'était son 13e appel, assorti d'une invitation à participer au gouvernement. Son projet débusqué et mis à mal, tente d'amadouer ses multiples opposants tout en prenant à témoin l'opinion sénégalaise. En se disant ouvert à une troisième option dont il laisse l'initiative à l'opposition, Wade aura averti, lorsque le moment viendra, de mettre son fils Karim sur orbite. “Nous sommes dans un pays de football, donc la balle est dans le camp de l'opposition”, a-t-il déclaré, oubliant délibérément que le dialogue politique a été rompu dans son pays depuis l'élection présidentielle de février 2007, lorsque l'opposition avait remis en cause la transparence du scrutin qui a permis à Wade d'obtenir un second mandat. Le chef de l'Etat sénégalais a par ailleurs refusé de s'exprimer sur le débat sur la présidentielle de 2012, suscité par sa volonté de transférer le fauteuil à son propre fils faute de solliciter un troisième mandat, pour âge avancé, une option à laquelle l'encouragent ses partisans mais que de nombreux juristes de Dakar jugent non conforme à la Constitution. Face au tollé soulevé au sein de l'opposition et au peu de chances de voir Karim passer à l'isoloir, certains ténors du PDS (Parti démocratique sénégalais, le parti de Wade), préconisent de porter celui-ci au Palais au suffrage indirect. La Coalition de l'opposition Benno Sggil Senegaal (BSS) soupçonne le camp présidentiel de vouloir faire voter une loi dans ce sens d'autant que le parti de Wade va prendre une déculottée lors des élections locales en mars prochain. Selon BSS, cette loi permettrait de dissoudre le Sénat au lendemain des élections et de repositionner le président de l'Assemblée nationale comme deuxième personnalité de l'Etat. Ce dernier pourra ainsi suppléer le président de la République en cas de vacance du pouvoir. Ce schéma conduirait le PDS à organiser des élections par un suffrage indirect (élection du président de la République par les élus locaux et les députés) dans un délai de trente jours. Les sondages des services sénégalais annoncent d'ores et déjà une défaite “lamentable” du PDS tant à Dakar qu'à l'intérieur du pays. Le président sénégalais et son fils assurent ne pas avoir l'intention de procéder à une transmission monarchique du pouvoir. Mais au Sénégal, de plus en plus de personnalités ont des doutes. “Si je veux mettre mon fils, je sais comment on fait. Regardez autour de vous”, en faisant cette déclaration à des journalistes américains, le président Wade semble avouer qu'il a les moyens de prendre exemple sur ses voisins togolais, gabonais et congolais (ex-Zaïre) des pays où des fils ont succédé à leurs pères sans difficulté majeure. Comme il est de coutume quand il s'agit de mettre en valeur son fils, Wade n'a pas raté l'occasion lors de cette émission américaine sur la transition démocratique en Afrique, de jeter des pierres dans le jardin de l'opposition: “Je ne vois pas dans l'opposition qui peut battre Karim” ! Le scénario de dévolution dynastique du pouvoir est aujourd'hui une préoccupation au Sénégal. Beaucoup d'observateurs et d'hommes politiques ne doutent plus de la volonté du président Wade de faire de son fils son successeur. Cheikh Tidiane Gadio, l'ancien ministre des AE (2000-2009), tombé en disgrâce en 2009, est le plus virulent. L'initiateur du Mouvement politique citoyen “Luy Jot Jotna” (Il est urgent d'agir) affirmait en juin dernier: “…toutes les institutions de la République se sont affaissées face à ce projet. Et tout tourne autour de ce projet”. La France, par la voix de Jean Christophe Rufin, ambassadeur au Sénégal de 2007 à juillet 2010, devait, peu avant son départ du Sénégal, mettre en garde les Wade: “Nous ne pouvons pas accepter des successions dynastiques au sens propre. Maintenant, si effectivement le fils du président se présente et qu'il est élu, c'est autre chose, si la compétition est libre”. La nuance est de taille, elle rappelle le rôle de Paris dans la succession de Omar Bango par Ali son fils. Il reste que Karim Wade sait à quoi s'attendre en cas d'élections démocratiques. Il a déjà subi une cuisante défaite en 2009, lors des locales où il a été battu. Après cette déculottée, il a pourtant été promu. Il est passé de président du Conseil de surveillance de l'Anoci-agence nationale pour l'organisation de la Conférence islamique- à ministre d'Etat avec des prérogatives sur le développement et les importations. Alors, avec un ministère taillé sur mesure, un papa prêt à tout pour le pousser, Karim remplacera-t-il en 2012 Wade ?