Les élections locales de mars dernier, perdues par le parti présidentiel, marquent un tournant après la victoire de l'opposition dans la vie politique sénégalaise. Après presque dix ans sous la coupe réglée d'un Abdoulaye Wade omniprésent, les Sénégalais n'ont pas avalé la dernière pilule concoctée par le chef de l'Etat, en empêchant son fils d'accéder à la mairie de Dakar. Son rêve de transmettre le fauteuil à son fils Karim envolé, le vieux lion n'avait d'autre issue que de s'incliner. Comme l'écrasante majorité de ses pairs africains, Wade n'avait pas compris que le pouvoir finit toujours par user. Un revers politique plutôt grave car, depuis mars, le pouvoir dans de nombreuses villes du Sénégal est entre les mains de la nouvelle gauche plurielle sénégalaise qui songe désormais à lui montrer la porte de sortie. Désarmé, mais grand seigneur, le président sénégalais a félicité les partis de l'opposition "à qui les électeurs ont fait confiance en leur confiant l'administration de nombreuses collectivités locales parmi lesquelles d'importantes villes". Le dauphin de Wade et néanmoins fils a perdu dans sa propre circonscription ! Le divorce entre la population et le palais présidentiel est consommé. Ces élections devaient constituer pour Karim Wade le tremplin pour sa conquête du pouvoir, lors de la présidentielle de 2012. La coalition de l'opposition "Benno Siggil Sénégal" a raflé quatorze régions du pays tandis que "Dekkal Ngor" de Macky Sall, l'ancien président de l'Assemblée nationale (exclu dernièrement du Parti démocratique sénégalais PDS au pouvoir), et "And Ligeey Senegaal" d'Idrissa Seck, l'ancien Premier ministre (leader du parti Rewmi) ont gagné respectivement les régions de Louga (Nord) et de Thiès (Est). Le PDS des Wade a été lessivé. À Thiès, le fils du président sénégalais, Abdoulaye Wade, a été chassé par une pluie de pierres et des huées de citoyens hostiles, lors de la dernière journée de sa campagne électorale. L'enfant terrible du Sénégal, qui déclarait la veille des élections : "je suis quelqu'un qui n'a jamais perdu dans la vie", a reçu une claque monumentale. La défaite de Karim, la première du parti au pouvoir en 9 ans, est révélatrice du dynamisme des sociétés africaines dans leur quête de la démocratie. Il faut, à cet égard, souligner que Wade, contrairement à ses pairs, a joué le jeu des élections libres. Un bon point pour cet octogénaire, vieux routier de la politique et ancien maestro du barreau de Dakar. Pourtant, Karim, que son père avait propulsé aux affaires en lui confiant, entre autres, l'organisation du sommet de l'OCI, n'a pas fait de vagues comme les rejetons de certains chefs d'Etats africains qui caressent l'espoir de succéder à leur père, comme, par exemple, Seif el-islam, le fils de Kadhafi, qui défraie les chroniques de la presse étrangère alors qu'il se pose en futur maître de Tripoli. La société sénégalaise serait-elle plus politisée ? Assurément, mais le président Wade est également — et de loin beaucoup — moins autoritariste que ses pairs africains. S'il avait été élu à la mairie de Dakar, Karim Wade aura été nommé par son père, à qui la loi le permet, au Sénat. Et le fiston aurait pu ensuite être propulsé à la tête de cette deuxième institution du Sénégal. Depuis 2007, la Constitution du Sénégal, modifiée plusieurs fois à l'initiative d'Abdoulaye Wade, stipule qu'en en cas de démission, d'empêchement définitif ou de décès, le président de la République est suppléé par le président du Sénat. Celui-ci organise les élections dans les délais prévus... Karim Wade aurait pu ainsi accéder au pouvoir de façon constitutionnelle. Mais l'hypothèse a fait chou blanc. Voilà enfin un message d'espoir pour la démocratie en Afrique.