Une constante chez cet acteur et témoin de l'Algérie contemporaine (de Novembre 1954 à la situation d'aujourd'hui), péripéties et vicissitudes diverses durant la guerre de Libération, course au pouvoir à l'Indépendance, tâches d'édification incomplètes et inachevées, car non accompagnées d'un processus démocratique, ce qui devait conduire à la tragique décennie noire et cheminement tortueux vers une normalité toujours d'actualité, Redha Malek est resté fidèle à lui-même. Toujours bien enveloppé dans sa certitude que l'Algérie n'a, tout simplement, pas achevé sa Révolution. Ce verdict, après 48 années d'indépendance, pose problème et ce n'est pas encore chez le directeur du glorieux El Moudjahid des années de lutte contre la colonisation (1957/1962) que les générations postindépendance trouveront les réponses qui les réconcilieront enfin avec l'histoire de leur pays. Reda Malek n'est pourtant pas n'importe quel témoin. C'est une vraie bibliothèque pour avoir été à la fois un acteur et un observateur de premier rang. D'abord, en sa qualité de dirigeant de l'organe central du FLN-ALN et de membre de la délégation algérienne aux négociations d'Evian qui avaient permis à la France de se retirer en ordre d'une colonie, qu'auparavant elle avait juré conserver dans son Hexagone, puis de rédacteur dans l'équipe qui a mis en forme le “Programme de Tripoli”, ce cahier des charges dont se proclamera, à Alger, le jour de l'Indépendance, le système politique en vigueur depuis pratiquement 1958 et au prix de dissensions et tensions politico-militaires. Après le recouvrement de la souveraineté nationale, Redha Malek est chargé d'expliquer l'Algérie indépendante auprès de l'ancien occupant et de capitales qui comptaient pour l'Algérie. En 1974, le président Boumediene fait appel à lui pour rédiger “la Charte nationale” avec laquelle le colonel président du Conseil de la Révolution a promis de donner un second souffle à la Révolution de Novembre. Boumediene mort, Redha Malek est invité à faire prévaloir ses droits à une retraite bien méritée. Il se retire de la vie publique jusqu'à l'arrivée du président Mohamed Boudiaf, un monument de la Révolution de Novembre dont le nom avait été méconnu par les jeunes générations biberonnées à une Histoire frappée du sceau de la culture de l'oubli. Le pays, proie de la sédition islamiste, est sous embargo. Redha Malek est dépêché à New York pour expliquer aux Américains que le vote version FIS n'a rien de démocratique et que les islamistes ne poursuivaient qu'un seul et unique projet : gommer l'Etat national pour le remplacer par un califat mythique. Le système s'était rappelé qu'outre ses convictions républicaines, Redha Malek a été un des négociateurs qui ont obtenu la libération des 52 otages de l'ambassade américaine à Téhéran en 1981. L'auteur de Guerre de libération et Révolution démocratique reprend ainsi du service jusqu'en 1994, date de la venue de Liamine Zeroual à El-Mouradia. Sa présence aux étages supérieurs du pouvoir a laissé pour la postérité sa retentissante phrase “la peur doit changer de camp”, qu'il a prononcée dans son habit de Chef de gouvernement. Cette sentence marquait le début du compte à rebours de l'islamisme radical, rejeté par les populations et battu militairement. Les Ecrits d'hier et d'aujourd'hui sont cependant sobres, comme leur auteur. Très peu de détails à contre-courant de l'Histoire officielle mais une somme de documents très intéressants sur la problématique de la démocratie dans le pays. L'ouvrage, volumineux (758 pages), est une compilation de ce qu'a écrit Redha Malek, précédemment dans la presse algérienne et internationale, en plus de communications et de certains entretiens réalisés avec lui, qu'il a actualisés avec des commentaires et même des ajouts. L'ancien Chef de gouvernement accuse, dans son ouvrage les islamistes et le pouvoir qui ne trouve à ses yeux pas la moindre compréhension. Assumant son anti-islamiste jusqu'au bout, Redha Malek estime que la situation délétère d'aujourd'hui puise sa source dans ce qu'il appelle “l'alliance contre nature” entre pouvoir et islamisme. Il explique que la victime de ce compagnonnage est le pôle démocratique. Très remonté contre ce qu'il écrit en filigrane, une trahison des principes de la Révolution de novembre, Redha Malek reste convaincu que l'irruption de l'islamisme sur la scène politique, voulue, selon lui, par l'ancien président Chadli Bendjedid, a bloqué la dynamique de la société qui penchait vers la modernité républicaine. L'explication aurait été complète si était développé le fait que l'islamisme n'est pas un mouvement propre à l'Algérie. C'est un phénomène contemporain qui traverse tous les pays musulmans ainsi que les communautés musulmanes, petites et moyennes, établies hors de terres musulmanes. Redha Malek reconnaît quand même que cette idéologie est enracinée “dans les profondeurs de l'Algérie indépendante”, faisant remonter sa filiation aux années 1962 avec la création de l'association El-Qyam par les cheikhs Tidjani, Arbaoui et Soltani. El-Qyam, explique-t-il, était une réaction à l'adhésion de membres de l'Association des ulémas aux orientations du pouvoir. Tout comme il relève le rôle des évènements internationaux dans la propagation du terrorisme en Algérie, en particulier : le succès de la révolution islamique en Iran, l'invasion de l'Afghanistan par les Soviétiques et le rôle des Etats-Unis dans le soutien de l'effort mondial contre le communisme avec des armes financées par des fonds saoudiens mais aussi appuyé par une couverture cléricale de l'école wahhabite. S'ensuivit la facilitation de formation de “moudjahidine” au Soudan, puis au Pakistan et en Afghanistan. Chassés des patries du jihad, ces activistes arabes retournèrent dans leurs pays respectifs dont l'Algérie pour y exercer la terreur… Le modèle de Redha Malek est la Tunisie de Ben Ali qui a combattu sévèrement les islamistes dans son pays. Le président Liamine Zeroual ne trouve pas grâce chez le Chef du gouvernement du Haut Comité d'Etat présidé par Ali Kafi. Pour l'auteur, l'ex-général, massivement élu dans un vrai scrutin au plus fort des exactions terroristes, n'a pas tiré de leçon et a contribué lui aussi à ancrer institutionnellement le fondamentalisme en permettant aux islamistes de pénétrer le pouvoir par le biais de Hamas qui se présentait “sous le masque du modernisme”. En 2010, après les islamistes qu'il eut toujours abhorrés et exécrés, les gouvernements qui lui ont succédé n'ont pas de crédit aux yeux de Redha Malek. Après qu'il eut quitté la scène du pouvoir, Redha Malek a créé son propre parti dont le programme est défini par son énoncé : l'Alliance nationale républicaine. Mais en 2009, il jette l'éponge après avoir constaté que “la pratique partisane en Algérie était devenue un simple alibi du pluralisme politique”. D. B. Redha Malek, Guerre de libération et Révolution démocratique : Ecrits d'hier et d'aujourd'hui, 758 pages, Casbah Editions, 2010, Alger.