Le caricaturiste de Liberté et le directeur du Matin sont inculpés d'outrage au chef de l'Etat. Le juge d'instruction près le tribunal de Sidi M'hamed a prononcé, hier, la liberté provisoire en faveur de Ali Dilem, caricaturiste de Liberté, et Mohamed Benchicou, directeur de publication du journal Le Matin. Ils ont été auditionnés séparément pendant 45 minutes chacun. Avant d'échouer chez le magistrat instructeur, ils ont été d'abord entendus, distinctement là aussi, pendant 1h30 par le procureur de la République. Le directeur de coordination du journal Liberté, Ali Ouafek, a été entendu en tant que témoin. Pour rappel, des policiers, forts d'une quatrième convocation avant arrestation, ont embarqué la veille Dilem et Benchicou au commissariat puis les ont déférés devant le procureur de la République. Une procédure marathonienne qui a duré huit longues heures. Une convocation leur a été remise de se présenter devant le juge d'instruction. Ce qui fut fait. Hier, Ali Dilem, Ali Ouafek et Mohamed Benchicou se sont présentés, à 9h25, au tribunal de Sidi M'hamed en compagnie du collectif des avocats. Juste avant d'entrer chez le procureur de la République, Benchicou nous a déclaré : “C'est une procédure normale. C'est ce que nous n'avons pas cessé de demander. Pour nous, il y a inexistence d'un quelconque outrage au président de la République. Ce sont des informations collectées grâce à des enquêtes, des interviews, etc. Nous n'avions fait que notre travail. Si la justice veut savoir davantage, nous sommes à son entière disposition.” Des journalistes, des délégués des archs, des militants du MDS et Djamil Benrabah attendaient à l'intérieur du tribunal. Vers midi, Me Bourayou s'amène vers ceux venus soutenir les deux prévenus pour les informer qu'ils ne sont toujours pas entendus par le juge d'instruction. Quelque temps après, c'est au tour de Me Hanoune, un membre du collectif des avocats des archs, de rejoindre le groupe (journalistes et délégués des archs) pour l'aviser du début de l'instruction de Ali Dilem. Mustapha Mazouzi, délégué de la ville des Genêts, nous apprend que des avocats de Tizi Ouzou, dont Mes Hanoune et Saheb, qui avaient eu à défendre des délégués, se sont constitués de leur propre chef pour défendre les journalistes. Un de ses acolytes, un délégué des Ath Zmenzer, s'approche de nous. Il interpelle le pouvoir “maffieux et assassin pour arrêter son harcèlement contre les journalistes”. Faute de quoi, a-t-il menacé, “le mouvement citoyen recourra à des actions de rue”. Aux environs de 13h15, Abrous Outoudert, ex-directeur de Liberté, arrive du bureau du juge. Se voulant rassurant, il nous a déclaré : “L'instruction de Dilem vient de s'achever. ça c'est passé correctement.” Pour ce qui est de son cas, puisque lui aussi il n'a pas répondu aux convocations de la police judiciaire, il nous a indiqué : “Le juge d'instruction fera le tri de tous les dessins de Dilem jugés outrageants. Il me convoquera ultérieurement.” Vers 15 heures, Ali Dilem, Ali Ouafek, Mohamed Benchicou et leurs avocats sortent enfin du bureau du juge. Les mines étaient déridées. Un bon présage. La bonne nouvelle est annoncée : Dilem et Benchicou ne sont pas poursuivis, ils sont en liberté provisoire. Approché, Ali Dilem nous déclare : “J'étais entendu par le procureur pendant 45 minutes. Puis, c'était au tour du juge d'instruction de m'auditionner pendant 45 autres minutes. Les questions tournaient autour de mes dessins ayant trait, exclusivement, au président de la République. Curieusement, pas un traître reproche sur les autres dessins où il est question des généraux par exemple. En tous les cas, l'instruction suit son cours.” Pour Mohamed Benchicou, désormais, les convocations de la police judiciaire sont presque un mauvais souvenir. “C'est devenu une affaire juridique normale. Je pense qu'il n'y aura plus d'audition chez la police judiciaire”, a-t-il soutenu. Avant d'ajouter : “Le procureur de la République et le juge d'instruction m'ont auditionné sur un certain nombre d'articles, de chroniques, d'éditoriaux, de commentaires qui, tous, évoquent la présidence de la République. Nous sommes poursuivis pour outrage au Président. Nous avons nié l'accusation en répondant que nous n'avions fait que notre travail. Nous avons soulevé un point important, à savoir qu'on n'est plus poursuivi pour notre ligne éditoriale que pour les articles publiés. Nous n'avons aucun compte à régler avec les institutions de la République dont la présidence et nous n'avons aucun objectif politicien. La présidence doit faire preuve d'esprit républicain. Si elle s'estime diffamée, elle n'a qu'à répondre par des mises au point au lieu de recourir à ces procédures de harcèlement.” De son côté, Me Miloud Brahimi soutient : “C'était plus serein. Il nous plaît d'espérer à l'avenir que les journalistes qui viendraient à être en indélicatesse avec le pouvoir ne soient pas l'objet de convocations récurrentes de la police. Il suffit de les convoquer directement devant la justice. La preuve en est que Benchicou et Dilem avaient refusé de répondre aux convocations de la police judiciaire. Cela n'a pas empêché le procureur de la République et le magistrat instructeur de s'acquitter normalement de leur mission.” A. C. Ils sont solidaires RCD immigration “Nous sommes indignés” Fidèle lectrice de la presse algérienne indépendante, fortement attachée à la liberté d'expression dans notre pays, l'immigration algérienne est indignée par la répression qui s'abat sur les journaux qui ont révélé les scandales mettant en cause les plus hauts dignitaires du système. Le RCD immigration ne ménage aucun effort pour alerter les instances internationales, notamment européennes, sur la gravité des attaques contre la presse et qui font suite à celles qui ont visé les militants démocrates. L'Etat algérien est en violation flagrante de ses engagements internationaux, en particulier l'accord d'association avec l'Union européenne conditionné par le respect strict des droits de l'Homme et la liberté d'expression. La communauté immigrée, partie prenante depuis un siècle des luttes démocratiques de notre pays, exprime sa solidarité sans réserve avec la presse dont elle salue le combat N.B. : Un débat consacré à la presse indépendante en Algérie sera organisé par le RCD immigration, le dimanche 14 décembre 2003, à 15 heures, à la fête de L'Humanité, à la Courneuve. Conseil supérieur de l'éthique et de la déontologie “Des pressions intolérables” Les membres du Conseil supérieur de l'éthique et de la déontologie (CSED) des journalistes algériens ont été surpris par l'interpellation de leur porte-parole, Mme Fatma-Zohra Khelfi Bellazoug, devant le commissariat central d'Alger par les services de police. Notre collègue se trouvait en compagnie d'autres journalistes venus s'enquérir de la situation du directeur du Matin, Mohamed Benchicou, et du caricaturiste, Ali Dilem de Liberté et exprimer leurs solidarité aux deux journalistes, arrêtés pour des écrits et des caricatures jugés “diffamatoires”. Les membres du CSED sont d'autant plus surpris par l'interpellation de leur collègue qui a été longuement interrogée dans les locaux du commissariat avant d'être présentée au procureur de la République et assignée à comparaître le 17 septembre 2003, au motif d'“incitation à attroupement et atteinte à l'ordre public”. Considérant que ces dérapages constituent un précédent grave, le CSED s'élève avec vigueur contre les pressions intolérables exercées sur les journalistes ainsi assimilés à des délinquants relevant du droit commun. Il dénonce également toute forme de harcèlement judiciaire visant la suspension de publications indépendantes et estime que de tels procédés relèvent de pratiques tendant à limiter la liberté de la presse et la liberté d'expression. Comité national de sauvegarde des libertés “Rassemblons-nous pour la défense des libertés” Pour affirmer notre solidarité avec la presse indépendante ; pour dénoncer les graves menaces, les intimidations et le harcèlement dont elle fait l'objet ; pour défendre les acquis démocratiques et les libertés d'expression et d'opinion, soyons nombreuses et nombreux au rassemblement qui se tiendra le samedi 13 septembre à 11 heures, à la Maison de la presse Tahar-Djaout. Parti du renouveau algérien “Tentation mortifère du pouvoir politique” Alors que, dans les véritables démocraties, l'Etat a engendré un certain type d'hommes et de civilisation, où le sujet est devenu citoyen et les hommes assujettis des êtres libres et la finalité même de l'Etat est la liberté, il est tragique pour le présent et mortel pour l'avenir de notre pays que cette conception de l'Etat soit totalement étrangère et évacuée des us et des mœurs des actuels détenteurs du pouvoir. La tentation totalitaire et mortifère qui gagne le pouvoir politique, obsédé par sa réélection, met en danger, non seulement la liberté d'expression, mais toutes les libertés, l'avenir démocratique du pays, et fragilise les institutions de l'Etat. Les fondements de l'Etat, par un usage dévoyé des prérogatives constitutionnelles, sont ébranlés ; la République, cette chose publique privatisée au seul bénéfice d'une coterie, est en danger. Il est fort à craindre que l'acharnement qui s'abat sur la presse privée et l'escalade dans le harcèlement des journalistes, qui paient au nom de la société le prix fort pour leur professionnalisme et leur indépendance, ne soient qu'un élément d'un scénario qui se déroulera implacablement et laminera, avec les moyens répressifs policiers et judiciaires de l'Etat, tout ce qui se mettra au travers de son objectif d'avril 2004. Le PRA ne peut que renouveler sa condamnation de ces pratiques d'un autre âge, exige la cessation de toutes ces atteintes aux libertés fondamentales, contre la presse et les journalistes, et exhorte le pouvoir politique à un fonctionnement constitutionnel avant qu'il ne soit, pour tous, trop tard.