Le verdict donnera une idée précise sur la marge de manoeuvre de la presse dans le système politique national. Comme cela était prévisible, le directeur du quotidien Le Matin, Mohamed Benchicou et le caricaturiste du journal Liberté, Ali Dilem ont été inculpés avant-hier d'offense au chef de l'Etat, Abdelaziz Bouteflika. Cette information a été rapportée par leur avocat, Me Khaled Bourayou. Ce chef d'inculpation confirme on ne peut mieux que le bras de fer presse dite privée- pouvoirs publics, était plus politique que commercial. Les deux journalistes, qui avaient été traduits devant le parquet auprès du tribunal d'Alger, risquent, s'ils sont reconnus coupables et selon les nouvelles dispositions du code pénal de lourdes peines de prison et de fortes amendes. Mais on est pas encore à cette extrême rigueur de la loi. Les deux hommes, ont été laissés en liberté provisoire par le juge d'instruction du dossier et d'après leur défendeur, «ils seront interrogés dans les semaines qui viennent». Autrement dit, dans l'acte d'accusation qui sera nécessairement dressé contre les deux inculpés, le directeur du Matin qui a mené ces derniers mois une campagne très virulente contre le chef de l'Etat et son entourage immédiat, devrait répondre d'articles jugé diffamatoires par la partie civile, alors que le caricaturiste de Liberté sera jugé pour ses dessins au vitriol tournant souvent le Président ou ses proches en ridicule. Le réquisitoire du procureur de la République sera d'autant plus dur contre ces deux figures emblématiques de la presse algérienne que les deux mis en cause avaient été destinataires de trois convocations de la police et auxquelles ils avaient refusé de répondre. Ce refus d'obtempérer à des assignations émanant d'autorités légales du pays, leur a valu d'être interpellés par des policiers en milieu de semaine et conduits au commissariat central pour y être interrogés avant d'être relâchés dans la même journée. En outre, durant leur brève arrestation, d'autres journalistes et photographes qui s'étaient regroupés devant le siège de la police judiciaire d'Alger pour demander la libération de leurs collègues ou pour simplement assurer la couverture journalistique de l'affaire, ont été brutalement dispersés par des policiers très déterminés. D'ailleurs, durant les échauffourées qui ont suivi, quatre autres personnes, des journalistes et assimilés, dont deux , ont été elles aussi violemment interpellées et embarquées au commissariat. Accusées d'«attroupement et troubles à l'ordre public», elles ont été déférées devant le procureur de la République qui les a citées à comparaître le 17 septembre prochain. En somme, le feuilleton presse- pouvoir a glissé définitivement et publiquement du contentieux purement commercial qui a vu l'interdiction d'impression de pas moins de six des plus importants quotidiens du pays, pour non paiement de leurs créances envers des imprimeries de l'Etat vers une saga politico-judiciaire où la police tient le premier rôle. Nul doute que le verdict qui sera prononcé à l'issue du jugement de toute cette affaire, ou la formule politique occulte qui lui sera trouvée, donneront une idée précise sur la marge de manoeuvre réelle de la liberté de la presse dans le système politique national.