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Petite histoire des Grandes oreilles
La pratique des écoutes illégales ne connaît pas de frontières
Publié dans Liberté le 14 - 09 - 2003

Depuis le Watergate et plus récemment le réseau mondial Echelon, on sait que nombre de gouvernements n'ont pas hésité à recourir à ce genre de méthode pour “dompter” leur opposition.
Outil privilégié des régimes totalitaires, les écoutes téléphoniques sont une pratique connue aussi dans les pays démocratiques. À la grande différence que, dans ces contrées, les grandes oreilles s'ouvrent sur une décision de la Justice. Elles concernent des personnes suspectées de détenir des informations en relation avec la sécurité de l'Etat ou le terrorisme. Hors de ce cadre, elles font hurler et peuvent même conduire à des poursuites judiciaires. En France, l'ancien directeur de cabinet de François Mitterrand, Giles Montagne, a été inculpé à la suite d'une affaire d'écoutes qui avait tourné au scandale au début des années 1980. Le Président socialiste avait, en effet, mis en place à l'Elysée une cellule d'écoute dirigée par le commandant de gendarmerie, Christian Prouteau. Sur sa table, des dizaines de personnalités étaient surveillées. Il y avait un avocat défendant des Irlandais injustement accusés de détention d'armes de guerre. L'affaire est connue sous le nom de “Les Irlandais de Vincennes”. Il y avait le journaliste Edwy Plenel — et futur directeur de la rédaction — du quotidien
Le Monde qui enquêtait sur l'affaire du Rainbow Warrior, le bateau de l'association écologique Greenpeace, coulé par la marine française. Parmi les “écoutés” figurait également son confrère Jean-Hedern Hallier qui enquêtait sur un Mitterrand, trop soucieux à l'époque de cacher sa fille Mazarine conçue hors mariage. Le deuxième mandat de Mitterrand a été marqué par des écoutes concernant des hommes politiques liés à des scandales financiers. Plus récemment, en 2000 et 2001, six journalistes ont été mis sur écoute dans le cadre d'une enquête de la Division nationale antiterroriste sur les affaires corses. Même sur décision de la justice, ces écoutes ont soulevé des protestations dans les milieux de la presse. Plus récemment, un journaliste de L'Est républicain, mis sur écoute sans décision du juge, a déposé plainte avec constitution de partie civile. Il avait eu une conversation avec Patrick Devedjian, actuel ministre délégué aux Libertés locales, pour évoquer la publication d'une éventuelle interview de l'assassin présumé de Claude Erignac, Yvan Colonna. Dans le cas de la presse, c'est surtout l'identification des sources qui est visée par les écoutes. C'est là le souci de Zerhouni, agacé par tous les scandales impliquant le cercle présidentiel et révélés par certains journaux. Sauf que le ministre de l'Intérieur s'est arrangé pour que sa décision soit connue. Déjà objet de filature, donc mis dans l'impossibilité de rencontrer leurs sources, les journalistes ne peuvent même pas obtenir leurs informations par téléphone. Dans ces cas, l'intimidation policière se conjugue avec le harcèlement judiciaire. En tant qu'ancien chef du contre-espionnage, à l'époque du rideau de fer, Zerhouni semble encore lorgner vers la Russie, justement dirigée par un chef de contre-espionnage qui redonne de la vigueur à la pratique des écoutes dans un pays en butte à la guérilla tchétchène et à une mafia qui ne finit pas de prospérer en faisant fuir les capitaux. De plus en plus de personnalités en font les frais. La pratique du “kompromat”, un terme hérité du jargon soviétique qui désignait des informations compromettantes recueillies contre un dissident ou un dignitaire en disgrâce, est restée monnaie courante dans les luttes politiques de la Russie de Vladimir Poutine, même si les services secrets n'en ont plus le monopole. Les téléphones des députés et autres hommes politiques n'émettent peut-être plus toujours les mêmes sons ou échos bizarres qui laissaient supposer une écoute, mais plus d'une demi-douzaine de députés de premier plan de la Douma (Chambre basse du Parlement) ont vu, ces derniers temps, leurs conversations enregistrées et proposées à la presse.
Spécificité russe, les auteurs des écoutes peuvent être des personnes qui n'ont rien avoir avec les services de sécurité et de la police. “Les auteurs en sont le plus souvent de jeunes gens entreprenants qui essaient seulement de gagner de l'argent en vendant une cassette à la presse”, selon un magistrat récemment cité par les médias. Selon le journal ultranationaliste et antisémite Zavtra, qui a publié récemment les propos confidentiels du député libéral Boris Nemtsov sur la nécessité de faire échouer le projet d'union entre la Russie et le Bélarus, c'est un de ces mystérieux “commis voyageurs” qui s'est présenté à la rédaction avec une valise pleine d'enregistrements. Il avait des “kompromat” sur cassette de nombre de personnalités politiques, du leader communiste Guennadi Ziouganov à l'ultranationaliste Vladimir Jirinovski, selon le rédacteur en chef de Zavtra, Alexandre Prokhanov, qui a choisi celui de M. Nemtsov.
Le député libéral a confirmé avoir tenu les propos rapportés, mais s'est aussi adressé publiquement au procureur général Vladimir Oustinov, le sommant de démasquer les auteurs des écoutes.
Les écoutes peuvent parfois prendre des allures carrément ahurissantes. Comme ce fut le cas lors de la guerre en Irak où les représentations de certains pays à l'ONU étaient écoutées par les USA. Le scandale a été vite étouffé pour ne pas fâcher davantage l'oncle Sam en grippe avec certains amis de l'Alliance atlantique.
Quelques jours auparavant, des écoutes avaient été découvertes à Bruxelles dans le Conseil des ministres de l'UE. Elles visaient la France et l'Allemagne... En Algérie, les écoutes visent les journalistes qui ont défendu l'Etat lorsqu'il était menacé d'effondrement. Pendant que ceux qui menacent sa sécurité semblent jouir de la tranquillité.
N. B.


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