Ben Laden constitue un objet de recherche très secondaire, presque insignifiant. Nous vivions, avant les événements du 11 septembre 2001, dans la «cité du monde», après avoir dépassé l'étape, millénaire du «monde des cités». Dans la cité du monde, les tendances politiques mondiales, sécrétées par la décennie 1980-90 (dégel des relations américano-russes, chute du mur de Berlin et des blocs Est-Ouest, fin des hystéries idéologiques, poussée islamiste, etc.) plaçaient les Etats-Unis en position hégémonique. Ils sont les maîtres du monde. La «tempête du désert» et la mise de l'OTAN, puis de l'ONU sous la «tutelle» de Washington, ont accentué cette tendance. Aujourd'hui, nous vivons dans une «boule de cristal» et les «Gitans» ce sont encore les Etats-Unis d'Amérique. Nous, nous vivons au-dedans de la boule. Nous sommes évidemment contrôlés, épiés, espionnés et surveillés H24. Pire: nous sommes suspectés, accusés et inculpés. Et nous vivons dans l'attente du verdict. Telle est la situation du monde et la carte géopolitique en 2002. 200.000 agents des services spéciaux (renseignement, sécurité, télésurveillance globale, etc.) ont investi le monde. Ben Laden constitue un objet de recherche très secondaire, presque insignifiant. Les investigations vont au-delà: elles tâtent le terrain planétaire, elles fouillent, elles consignent, elles collectent, elles recherchent de nouvelles données ethniques, sociales et économiques; elles jaugent de nouveaux champs pétroliers exploitables et les nouvelles sources de richesse, dans le Caucase, l'Asie mineure ou le grand Sahara et elles exigent que les pays du monde fassent en sorte que leurs secrets leur soient dévoilés au nom de l'«Immuable vérité» et au nom de la «guerre invisible contre des ennemis insaisissables et des réseaux terroristes diffus». Le monde entier, sous différentes attitudes et de manières diverses, obtempère. La crainte, feinte ou réelle, du terrorisme a alimenté de nouveaux enjeux et a abouti à l'ère de la «télésurveillance globale», comme se plaît à la qualifier Paul Virilio. Plusieurs opérations ont été lancées depuis quelques années de manière discrète, presque en rougissant (car, en fait, c'étaient bien des opérations d'espionnage), mais qui ont, plus tard, été justifiées, vantées et largement mises à la connaissance du public. A quelques encablures marines d'Alger, la France lance un nouveau «trojan» (cheval de Troie) particulièrement dangereux, au nom de la sécurité informatique. C'est la deuxième opération d'envergure après celle, de renseignement pur, appelée «Réseau Echelon», système mondial de surveillance d'interception électronique et qui risque de «phagociter» des nations et des gouvernements entiers. Tous les pays du globe ont inventé leur propre système de télésurveillance, à première vue, destiné à la sécurité nationale, mais dont l'enjeu va bien au-delà. Mais tous ces systèmes demeurent «politiquement acceptables» devant le gigantisme des systèmes américains, destinés, eux, principalement à l'espionnage politique et économique, sous le motif très discutable du sécuritaire. La CIA, le FBI et la cinquantaine d'agences de renseignements fédéraux et nationaux, que gère Tom Reid, «monsieur défense» des States, ont des tentacules dans tous les pays du monde, soit par l'intermédiaire de l'ONU, de l'OTAN ou des grandes organisations politiques et monétaires internationales, et parfois de façon directe avec les services spéciaux dans le cadre de la coopération judiciaire ou autre. Du décryptage aux filtrages des mots et messages électroniques NSA, l'agence nationale américaine de la sécurité, ces «yeux» des EUA, mettent le monde dans la poche. Le réseau d'écoute et de télédécryptage Echelon, qui filtre et «entend» les conversations et les messages électroniques dans le monde, n'est qu'un de ses «cinq sens». Ces marques de l'hégémonisme américain, sorte d'unilatéralisme politique et militaire jamais égalé, même dans les pires gouvernances totalitaires nazies et tes, ont donné une «caution de légitimité» aux régimes du Tiers monde et des pays en développement pour réprimer «dans le feu et dans le sang» l'opposition locale sous le couvert de lutte antiterroriste. Désormais, la répression, dans des pays dictatoriaux reconnus, prend l'aspect d'une forme légalisée de «gestion politique interne», et aucune législation officielle, et ayant force de loi, n'est disponible actuellement pour faire pièce à ces dérapages antidémocratiques très graves. Plusieurs mois après les attentats du 11 septembre, les éditoriaux du New York Times ont suggéré à leurs lecteurs que les terroristes détestent les Etats-Unis parce que ceux-ci «défendent la démocratie, le capitalisme, la liberté d'expression et les valeurs modernes». Noam Chomsky, professeur du MIT et personnage truculent et polémiste engagé, a soutenu, dans le même temps, et dans tous les articles qu'il avait rédigés, que les terroristes détestent les Etats-Unis parce que ceux-ci «ont appuyé des régimes brutaux», pour ne pas dire dictatoriaux, et qu'ils «ont, au contraire, entravé la démocratie et le développement économique» dans les pays pauvres ou vivant des tensions internes. Hélas, pour le moment, ce n'est pas la manière de voir de Chomsky, qui est privilégiée. C'est encore et toujours le règne global et absolu, sans partage et écrasant de l'unilatéralisme de la sécurité des EUA. Après avoir soutenu pendant trente ans, les réseaux et Etats terroristes (1960-1990), les Etats-Unis développent une autre approche du terrorisme, selon les intérêts et les enjeux du jour. Demain, peut-être, l'Arabie Saoudite ou l'Egypte seront indexées à la «liste noire», sans que personne trouve à redire. Car personne n'oublie, pour le moment, que la télésurveillance «globale» le poursuit, l'épie et le «voit». Réfrigérant!