Selon nos informations, le matériel ultra-sophistiqué, récemment acquis en Allemagne, serait destiné à mettre sur écoute des personnalités politiques ainsi que des journalistes de la presse indépendante. Interrogé récemment sur la question, le ministre de l'Intérieur n'a pas catégoriquement démenti l'information. A-t-il secrètement importé un matériel d'écoute sophistiqué pour espionner certaines personnalités du monde politique et médiatique ? Depuis quelques semaines, le microcosme algérois bruit de ces rumeurs. Le sujet vient d'être défloré, officiellement, par le ministre de l'Intérieur, Yazid Zerhouni, lui-même. En déplacement à Naâma, la semaine dernière, dans le cadre de la tournée du président Bouteflika dans les wilayas d'El-Bayadh et de Naâma, le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales n'a pas nié catégoriquement l'existence d'un tel procédé. Interrogé par les journalistes, venus couvrir la visite sur la mise sur écoute de lignes téléphoniques par son département, Yazid Zerhouni affirme que ses “services ne sont pas dans le besoin de recourir à ce genre de procédé”. Chapitre clos ? Pas tant que ça. Depuis quelques semaines, des patrons de presse, des journalistes, ainsi que des personnalités politiques affirment volontiers que leur téléphone fixe et leurs portables sont mis sur table d'écoute. L'affaire prend de telles proportions que beaucoup préfèrent ne pas prolonger leurs discussions téléphoniques pour éviter que des secrets ou des confidences ne tombent dans des oreilles et entre des mains malveillantes. Dernièrement, le directeur de la publication du Matin, Mohamed Benchicou, s'en est pris vertement au ministre de l'Intérieur en affirmant qu'il l'a mis sur table d'écoute. 5 000 lignes et un nombre infini de possibilités Le matériel d'écoute aurait été importé par le ministère de l'Intérieur. C'est un matériel ultra-sophistiqué qui permet le branchement de 5 000 lignes à la fois. Certaines sources vont jusqu'à dire que ce matériel peut permettre le branchement d'un nombre illimité de lignes à la fois. Cet équipement aurait été acquis en Allemagne. Ce pays, qui a été l'un des premiers à avoir utilisé les écoutes téléphoniques, fabrique, selon des sources, le matériel le plus sophistiqué dans le monde en la matière. Mais personne n'est en mesure d'affirmer cette information. Selon des sources bien informées, l'équipement importé par le département de l'Intérieur peut être réglé de manière géométrique de telle façon à permettre des écoutes téléphoniques dans toute une zone. Il s'agit aussi d'un matériel ambulant. Il se déplace en fonction des besoins en matière d'écoute du département de l'Intérieur. Des sources crédibles affirment, par ailleurs, qu'un logiciel très sophistiqué vient d'être acheté par les services du ministère de l'Intérieur. Ce matériel, qui se trouverait actuellement dans le département de Zerhouni, serait destiné à l'identification vocale aux fins de démasquer les lignes téléphoniques protégées. Les services de la Sécurité militaire, en apprenant l'acquisition d'un tel matériel, auraient exigé d'être consultés à cet effet. On apprend dans le même temps que l'un des projets du ministère de l'Intérieur serait de mettre sur table d'écoute, dans les semaines à venir, les téléphones Djezzy. Pour l'acquisition de ce matériel, le département de Zerhouni aurait sollicité les services de l'ancien ministre des Postes et Télécommunications, Zine-Eddine Youbi, pour autorisation. Car, légalement, pour l'importation du matériel d'écoute, la législation prévoit une autorisation du Conseil des points sensibles, présidé par le ministre des Postes et des Télécommunications en personne. Youbi “dégommé” pour avoir refusé de signer Tous les matériels sensibles, à l'image des talkies-walkies et des appareils d'écoute téléphonique, ne sont acquis qu'après l'autorisation des experts du Conseil des points sensibles siégeant au ministère des Postes et Télécommunications. Zine-Eddine Youbi, l'ancien ministre des Postes et des Télécommunications, a-t-il été démis de ses fonctions gouvernementales pour avoir refusé de signer l'autorisation d'achat d'un tel matériel ? Tout porte à le croire, car cette information, rendue publique le 8 septembre dernier par notre confrère Le Matin, n'a pas été démentie par les autorités concernées. Aussi, la réglementation en la matière prévoit une vérification de ce matériel d'écoute par les experts du Conseil des points sensibles avant son installation. Cette vérification est destinée à savoir si ce matériel d'écoute sera uniquement destiné à cette fin. La mise sous table d'écoute requiert, par ailleurs, des autorisations du procureur de la République. Pourquoi ? Car la vie privée des citoyens est inviolable, selon la Constitution. La vie privée peut être violée uniquement par la justice. La mise sur écoute n'intervient dans ce cas de figure que lors des cas d'infraction. Les écoutes téléphoniques constituent, dans ce cadre, des preuves que seul le procureur de la République est habilité à écouter. Les agents qui exécutent les écoutes téléphoniques n'ont aucun rapport avec le contenu des conversations et sont interdits de s'en enquérir. L'ancien ministre de la Justice, Mohamed Charfi, sollicité pour autoriser ces mises sur écoute, puisque les procureurs de la République dépendent de son département, aurait opposé un niet catégorique. Il aurait dit à ses vis-à-vis : “Je ne me mêle pas de ces histoires.” C'est d'ailleurs ce refus qui aurait constitué une des raisons de son limogeage de la tête du ministère de la Justice. Quels sont les objectifs de ces écoutes téléphoniques ? “C'est une des armes de tout l'arsenal guerrier que déploie Bouteflika pour s'adjuger un second mandat”, nous révèle une source très au fait des rouages de la présidence de la République, tout en affirmant que “c'est un moyen qui permettra au cercle présidentiel de s'informer et de savoir quels sont ses soutiens et ses ennemis”. Quelles sont les cibles privilégiées de ces écoutes téléphoniques ? Des sources dignes de foi affirment que le cercle présidentiel met sur écoute les journalistes, les partis d'opposition et le FLN. Pour les journalistes, une soixantaine d'entre eux sont mis sur table d'écoute, révèlent des sources qui précisent qu'il n'y a que quatre quotidiens qui sont essentiellement concernés : il s'agit de Liberté, du Soir d'Algérie, du Matin et d'El Khabar. Pour le FLN, le département de l'Intérieur a ratissé large, nous dit-on. La quasi-totalité des membres du bureau politique affirment que leurs téléphones sont sur table d'écoute. La paranoïa a atteint des proportions à tel enseigne que les responsables du FLN préfèrent écourter leurs conversations téléphoniques de peur de divulguer des informations internes au parti. Certains membres du BP nous ont même affirmé que leurs appels téléphoniques sur portable sont interceptés. “Ils interceptent nos appels et décrochent le téléphone à notre place pour donner de fausses informations à nos vis-à-vis.” Un membre du bureau politique du parti majoritaire nous a affirmé que plusieurs personnes l'ont appelé, la semaine dernière, et “on leur a dit que vous êtes bien sur le portable d'un tel, mais ce dernier a quitté définitivement le pays”. Un autre nous dit que les personnes qui lui ont téléphoné ont reçu la réponse selon laquelle “je me suis violemment chamaillé avec mon chef et que je suis définitivement parti”. Le matériel permet même d'enregistrer une conversation d'un téléphone portable pour ensuite la rebalancer sur le téléphone fixe de la même personne dans l'objectif de lui créer des problèmes conjugaux ou semer la discorde dans les familles. Certaines personnalités nous ont indiqué à cet égard que leurs conversations privées ont été enregistrées sur leur portable et répercutées sur le fixe. Quel est le coût financier d'une telle opération ? Selon des estimations, une petite station mobile pour l'interception des appels téléphoniques d'un portable coûterait 2,6 millions de dinars. Le coût est tellement important qu'il y a actuellement un problème dans la gestion financière de cet équipement d'écoute. “Les écoutes téléphoniques coûtent très cher. Il faut à chaque fois enregistrer de longues conversations pour n'en tirer qu'une petite phrase intéressante. Cela demande beaucoup de matériel et donc énormément d'argent.” C'est le ministère des Finances qui semble gêné par de telles dépenses et conteste le fait que ces écoutes téléphoniques relèvent du ministère de l'Intérieur. Selon des sources proches du dossier, les écoutes téléphoniques relèvent des services de l'armée. La pratique, par ailleurs, des écoutes a toujours existé et les services de Kasdi Merbah étaient spécialistes des écoutes téléphoniques. Boumediene a pu déjouer de multiples coups tordus grâce à ces écoutes téléphoniques. N. M. Ce que prévoit la loi Constitution Art. 39 : La vie privée et l'honneur du citoyen sont inviolables et protégés par la loi. Le secret de la correspondance et de la communication privées, sous toutes leurs formes, est garanti. Loi n° 2000/03 du 5 août 2000 fixant les règles générales relatives aux postes et télécommunications Chapitre II : Des dispositions pénales Art. 127 : Sont punis des peines prévues à l'article 137 du code pénal toute personne autorisée à fournir un service de poste rapide internationale ou tout agent employé par elle qui, dans le cadre de l'exercice de ses fonctions, ouvrent, détournent ou détruisent le courrier, violent le secret de correspondance ou aident à accomplir ces actes. Sont passibles des mêmes peines, toute personne autorisée à fournir un service de télécommunication et tout employé par des opérateurs de réseaux publics des télécommunications, qui, dans le cadre de l'exercice de leurs fonctions et en dehors des cas prévus par la loi, violent, de quelque manière que ce soit, le secret des correspondances émises, transmises ou reçues par voie de télécommunication ou en ont donné l'ordre ou ont aidé à l'accomplissement de ces actes. Est puni d'une peine d'emprisonnement de deux (2) mois à un (1) an et d'une amende de 50 000 à 1 000 000 de dinars algériens ou de l'une de ces deux peines seulement, toute personne, autre que celles mentionnées dans les deux alinéas précédents, qui a commis un des faits punis par lesdits alinéas. Outre les sanctions prévues aux alinéas 1, 2 et 3 ci-dessus, le contrevenant est interdit d'exercer toute activité ou profession dans le secteur des télécommunications ou dans celui de la poste, ou en relation avec lesdits secteurs pour une durée de un (1) à cinq (5) ans.