“C'est la victoire de la démocratie et de toute la région de Kabylie. La mobilisation citoyenne a encore une fois gagné son pari. Vive la solidarité”, a lancé le responsable du bureau de la LADDH au niveau de la wilaya de Béjaïa à l'issue du procès. Une atmosphère d'euphorie a finalement caractérisé l'issue de l'affaire des non-jeûneurs d'Ighzer Amokrane dont le procès a eu lieu hier matin au tribunal correctionnel d'Akbou, qui venait de prononcer la relaxe des huit jeunes inculpés, poursuivis pour “atteinte aux préceptes de l'islam”, en se référant à l'article 144 bis 2 du code pénal. C'est vers 11h50 que le verdict est tombé, mettant fin au suspense haletant qui plane dans une salle d'audience pleine à craquer. En effet, après les délibérations qui dureront une vingtaine de minutes, le président du tribunal correctionnel d'Akbou déclare enfin l'acquittement des huit inculpés sous un tonnerre d'acclamations. Une décision qui ne manquera pas de susciter un climat de joie parmi l'assistance. Il faut noter que le procès d'hier, qui a fait déjà couler beaucoup d'encre et de salive, a été marqué par la présence d'une foule nombreuse. Le tribunal de la ville d'Akbou était, en effet, assiégé dès la matinée par une affluence record. C'est dire que l'appel lancé par le comité de soutien aux non-jeûneurs d'Ighzer Amokrane a rencontré l'écho escompté. Des centaines de personnes, notamment les jeunes, étaient mobilisées en guise de solidarité avec les huit jeunes cités à comparaître devant le juge. D'imposantes banderoles, dont l'emblème amazigh, ont été déployées à l'entrée principale du tribunal. Des jeunes étudiants se revendiquant du comité universitaire du MAK (Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie) de Béjaïa s'attelaient à distribuer un appel de soutien aux non-jeûneurs, sur lequel on peut lire “agissons aujourd'hui pour nous prémunir demain”. Vers 9h, la salle d'audience n°3 où se déroulera le procès, était déjà comble, alors que des gens se bousculaient encore devant la porte d'entrée du tribunal. Quelques minutes plus tard, le président du tribunal fait irruption et ouvre la séance en appelant à la barre les huit mis en cause. Arab Chekaoui, 27 ans, propriétaire du local commercial dans lequel il a été arrêté, le 31 août dernier, en compagnie de ses sept amis, sera le premier à être auditionné par le juge. Interrogé, ce jeune chômeur n'hésitera pas à avouer : “oui, c'est vrai que j'ai mangé et pris un café, mais je ne suis pas contre l'islam. D'ailleurs, mes parents font le carême.” Sur la même lancée, les sept autres inculpés ont été unanimes à reconnaître également avoir rompu le jeûne dans ledit local, loin des regards. Lors de la plaidoirie de la défense, assurée par une dizaine d'avocats venus de Tizi Ouzou, d'Alger et de Béjaïa, ces derniers se sont appuyés sur un argumentaire très détaillé tel que la tangibilité des faits pour battre en brèche la charge retenue contre les mis en cause. Pour le collectif des avocats de la défense, “le jeûne est une affaire purement personnelle. De ce fait, la justice humaine ne doit pas se substituer à la justice divine”, estimant que “la dérive policière ne devrait pas mener à la dérive judiciaire”. “L'article 44 bis 2 du code pénal est en contradiction flagrante avec la loi suprême du pays, la Constitution, qui, pourtant, garantit les libertés individuelles. Le texte pénal obéit à l'interprétation restrictive et non pas extensive”, note-t-on encore. L'un des avocats plaidants a tenu à rappeler que “l'article 18 de la déclaration universelle des droits de l'Homme, qui se trouve être ratifiée par l'Algérie, consacre pleinement le droit aux libertés de culte et de conscience”. Avant d'enchaîner qu'“il n'y a pas pire tyrannie que celle qui s'applique à l'ombre de la loi pour faire du mal”. Visiblement très satisfait de l'issue du procès, le principal accusé, Arab Chekaoui, que nous avons accosté à sa sortie du tribunal, n'a pas caché sa joie, en confiant : “Je suis vraiment content de cette décision. C'est grâce à la mobilisation de tout le monde que la justice est rendue. Merci à tous !” “C'est la victoire de la démocratie et de toute la région de Kabylie. La mobilisation citoyenne a encore une fois gagné son pari. Vive la solidarité”, lancera pour sa part, Saïd Salhi, le responsable du bureau de la LADDH au niveau de la wilaya de Béjaïa. “Le droit a prévalu dans cette affaire. La justice humaine a refusé d'usurper la fonction de la justice divine”, nous a déclaré Me Ikken Mohamed, l'un des avocats de la défense, à la fin du procès. En somme, c'est grâce à la mobilisation de tout un chacun que ces jeunes inculpés se sont vu acquitter d'une affaire aux allures d'un scandale dont certains médias étrangers ont déjà fait leurs choux gras.