De jeunes danseuses et danseurs ont faussé compagnie à la délégation du ballet national algérien. Après celle des karatékas, il y a quelques années, et d'autres encore parmi les représentants nationaux des sports et des arts, ce genre d'évasion est devenu prévisible, comme en atteste la confiscation des passeports des membres du ballet durant leur séjour canadien. En demandant aux jeunes danseurs et potentiels fugueurs “de ne pas mettre la représentation algérienne dans l'embarras”, l'ambassadeur d'Algérie à Ottawa pensait-il vraiment que des jeunes, qui en sont arrivés au choix d'un exil hasardeux, partageraient avec lui le souci de son confort diplomatique ? Aux yeux des officiels, l'effet de la harga semble plus préoccupant que ses causes. Quand l'une des danseuses restées au Canada déclare en avoir “marre de la misère et de la hogra”, un responsable de la troupe s'étonne de son acte en ces termes : “ils sont chanceux ces jeunes. Ils sont pris en charge, voyagent et logent dans des hôtels cinq étoiles. Que veulent-ils de plus ?” (Voir reportage du site nda-algérie.com). Même quand des responsables proches des jeunes qui s'expriment, ils expriment l'étendue du quiproquo entre la jeunesse et les dirigeants chargés de leur proposer un avenir. Il suffit pourtant d'écouter le frère de cette fugueuse pour savoir combien une telle solution constitue, pour certains, l'ultime échappatoire à un contexte tout entier voué à intégrer un système de normes de privation et d'uniformité. Voici ce que dit, en effet, le frère de cette fille (dans le même reportage du même site) : “les gens de la cité la regardaient d'un mauvais œil. Certains la considéraient comme une dévergondée simplement parce qu'elle pratiquait la danse.” Un cadre de l'institution culturelle comprend bien qu'une fille qui étudie, voyage et loge seule peut tout de même ne pas concevoir son avenir dans un monde qui cultive l'intolérance fanatique ! À quoi cela rime-t-il d'être membre d'un prestigieux ballet national et raser les murs en arrivant dans son quartier ? Ni les responsables de l'Etat, ni l'encadrement de la jeunesse ne l'ignorent : notre mode de vie est régenté par la violence régressive à laquelle l'Etat a abandonné la mission d'ordre public de proximité, en dot de l'arrangement réconciliateur entre l'intégrisme et le pouvoir. Même quand la force publique intervient, c'est pour abonder dans le sens de la norme liberticide, parfois en violation de la loi. Lorsque le jeune pense perspective, il n'est pas découragé par les seules pénuries d'emploi et de logement ; il est désemparé par le cadre de vie lui-même. Celui-ci lui offre le choix d'intégrer le mouvement de vigilance populaire qui régente sa liberté et de compenser ses frustrations en sévissant contre ses frères – et sœurs surtout – ou d'être victime. Ou d'en sortir. Géographiquement. Si on veut retenir ce jeune, il faudrait peut-être commencer par lui restituer un cadre où il dispose des moyens d'envisager sereinement son avenir. Il faudrait en particulier le libérer de l'uniformité étouffante qu'on lui impose par vigiles interposés. C'est là le fond du malentendu avec le jeune candidat à l'exil : il ne fuit pas son présent ; il fuit son avenir. À la recherche des opportunités, mais aussi de la liberté de construire cet avenir. M. H. [email protected]