Liberté : Monsieur Raffarin, vous venez d'être nommé par le président de la République, “Monsieur Algérie” en quelque sorte ; peut-on avoir un aperçu de votre feuille de route ? J.P. Raffarin : Permettez-moi, tout d'abord, de vous dire les sentiments d'honneur et de joie que j'ai ressentis lorsque le Président Nicolas Sarkozy m'a désigné pour contribuer au renforcement des relations économiques entre nos deux pays, notamment dans le domaine de l'investissement et du partenariat économique. J'ai eu l'occasion de me rendre à Alger et d'y rencontrer votre Premier ministre, et je suis heureux qu'avec lui, ainsi qu'avec M. Benmeradi, votre ministre de l'Industrie, de la PME et de l'Investissement qui a été désigné comme mon interlocuteur pour cette mission, de pouvoir continuer le dialogue et contribuer au renforcement des liens économiques entre l'Algérie et la France. Ces liens sont déjà très solides, ils peuvent encore être renforcés dans le respect des principes fixés par les autorités algériennes et en recherchant, de façon pragmatique, notre intérêt mutuel, dans cet esprit de partenariat et de coopération qui est le nôtre. Vous avez été celui qui a débloqué une crise latente entre votre pays et la Chine, votre désignation ne risque-t-elle pas d'être perçue de la même manière en Algérie surtout que les relations connaissent un certain blocage ces dernières années ? Ma mission a été décidée d'un commun accord entre les autorités de nos deux pays. Elle fait suite aux deux missions que M. Claude Guéant, secrétaire général de la présidence de la République, a effectuées à Alger en février et en juin derniers où il a été reçu par les plus hautes autorités de l'Algérie. Nos relations ne connaissent pas de crise. Nos échanges économiques sont intenses. Les visites de ministres se succèdent. Le Président Bouteflika, lui-même, en recevant Mme Alliot-Marie a déclaré : “Nos relations se portent bien.” Ma mission est, à partir de ces bases solides et positives, d'avancer ensemble sur un certain nombre de grands dossiers et, ensemble, de répondre aux défis qui sont les nôtres. Je connais les ambitions de l'Algérie de préparer l'après-pétrole, de faire que l'impressionnant capital de ses hommes, de sa jeunesse, que ses richesses, humaines comme naturelles, soient mobilisés au mieux pour le développement du pays. Du côté français, à tous les niveaux et dans tous les secteurs, la volonté de coopérer avec l'Algérie, de s'inscrire dans le long terme est manifeste. J'en ai des témoignages tous les jours. Donc, pour moi, il n'y a pas de blocage ni de crise latente, mais une volonté partagée de progresser. En arrivant à Alger, quels arguments allez-vous développer devant vos interlocuteurs ? La France est de très loin le premier investisseur hors hydrocarbures ; les 430 entreprises françaises implantées en Algérie contribuent de manière très significative à la diversification et à la modernisation de l'économie algérienne. Ce sont près de 35 000 emplois directs qui ont été créés, 100 000 si l'on inclut les emplois indirects. Au-delà de cet aspect purement quantitatif, il faut souligner la qualité de l'investissement français en Algérie : - les entreprises françaises réinvestissent la majeure partie de leurs bénéfices dans le pays ; - elles forment un nombre très important de collaborateurs et de clients (en 2009, ce sont près de 400 000 journées de formation qui ont été dispensées) ; - elles procèdent à de nombreux transferts de technologie. Mais cela ne veut pas dire qu'il faut s'arrêter là ! Compte tenu de la proximité géographique et culturelle, des multiples liens qui nous unissent, il faut aller au-delà. Je compte, pour ce faire, sur les quelques grands groupes français qui ne sont pas encore implantés en Algérie et sur les PME françaises qui s'intéressent au marché algérien et sont prêtes à développer des partenariats de toute nature. J'ai été, dans le passé, ministre des PME et je souhaite les motiver pour venir très nombreuses en Algérie. Je connais aussi l'importance de la formation, de l'échange de savoir-faire, des liens entre les hommes. Autant d'atouts à mettre en valeur. Est-il prévu du côté algérien un “Monsieur France”, un alter ego en quelque sorte ? Souhaiteriez-vous un politique ou un technicien sachant que les relations bilatérales sont empreintes d'une forte dose de politique liée à l'histoire ? Vous savez que M. Benmeradi, ministre de l'Industrie, de la PME et de la Promotion des investissements, a été désigné. J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec lui par téléphone dès ma désignation et je suis ravi de faire plus ample connaissance à l'occasion de mon déplacement à Alger, le 24 novembre prochain, au cours duquel je rencontrerai également le Premier ministre et les autres ministres concernés par les dossiers que nous évoquerons. Je suis sûr que tous les deux, avec le soutien des Présidents et du Premier ministre algérien, nous travaillerons de manière confiante et efficace. La crise financière internationale ayant dicté les nouveaux paramètres de l'économie mondiale, comment percevez-vous le climat d'affaires en Algérie à la lumière des mesures protectionnistes décidées par le gouvernement algérien depuis la LFC 2009 ? L'Algérie est souveraine dans ses décisions, et je note que le directeur général du Fonds monétaire international, lors de son récent déplacement à Alger, il y a quelques jours, a souligné que les mesures prises par le gouvernement étaient “peu protectionnistes”. Bien évidemment, certaines des mesures prises au cours de ces derniers dix-huit mois modifient sensiblement l'environnement des affaires, et les entreprises françaises, comme les entreprises étrangères, ont à s'adapter à ces nouvelles règles. L'Algérie a tous les atouts pour attirer les bons investissements productifs. Nous sommes conscients des défis et du potentiel formidable de l'Algérie. Nous respectons ses choix, comprenons parfaitement que l'Algérie souhaite développer davantage son outil de production, ménager l'avenir en conservant un équilibre satisfaisant de sa balance des paiements courants, et créer les emplois qualifiés nécessaires. Quels sont les dossiers prioritaires dont il sera question avec vos interlocuteurs algériens ? Nous discutons avec les autorités algériennes d'une dizaine de projets considérés comme stratégiques, dont certains ont fait l'objet d'annonces favorables et de décisions du Conseil national de l'investissement au cours de ces derniers jours. De nets progrès ont donc d'ores et déjà été enregistrés. J'ai bon espoir que nous pourrons avancer de manière pragmatique et résolue sur les autres. Une dynamique prometteuse pourrait ainsi s'enclencher afin, à côté du renforcement de l'existant, d'élargir et d'approfondir notre coopération, avec de nouveaux opérateurs économiques et dans de nouveaux secteurs. Je compte revenir régulièrement en Algérie pour poursuivre ce dialogue et nous assurer, avec M. Benmeradi et le soutien de votre Premier ministre, que les choses progressent comme souhaité. L'organisation du premier grand Forum de partenariat algéro-français, prévu à la fin du premier semestre 2011 et dont les dates devraient être annoncées par la partie algérienne, fournira une occasion majeure d'œuvrer à cette “nouvelle étape” du partenariat entre nos deux pays.