«Le président de la République ne saurait être confondu avec aucune faction. Il doit être l'homme de la nation tout entière, exprimer et servir le seul intérêt national.» Charles de Gaulle Rituellement, depuis plus de vingt ans, le Conseil représentatif des institutions juives de France, plus connu sous le vocable le Crif, convoque à la mi-février le pouvoir politique français pour l'admonester et lui adresser quelques rares satisfecits dans un océan de reproches. Cette année, écrivait Régis Soubrillard, c'est le président de la République et non le Premier ministre qui sera l'invité d'honneur du dîner du Crif et prononcera un discours. Mais au fil des ans, le tranquille dîner s'est transformé, selon l'expression utilisée par Alain Finkielkraut, en un véritable «tribunal dînatoire».(1) C'est en 2001 que Roger Cukierman déclenche les hostilités en évoquant, devant l'ancien Premier ministre Lionel Jospin, la montée d'une «haine antijuive» en France, puis n'a cessé d'alerter, au risque de s'attirer certains reproches d'exagération et de «paranoïa», y compris au sein de la communauté juive. Le sommet a été atteint en 2005 avec des attaques multiples de Roger Cukierman sur la responsabilité des jeunes issus de l'immigration et de la gauche altermondialiste dans la hausse des actes antisémites et contre la diplomatie française. Le Crif constitue une redoutable machine de guerre sans légitimité: Un dîner au «caractère incontournable», c'est ainsi que le Crif présente cette manifestation sur son site, rappelant que de nombreuses personnalités politiques et intellectuelles se pressent pour être présentes à ce «rendez-vous politique majeur». Et pour renforcer cet événement, la soirée est enregistrée sur la chaîne «Public-Sénat». En son temps, Dominique de Villepin avait rappelé le rôle de la communauté juive de France dans les bonnes relations entre la France et Israël; mais qui est la communauté juive? Ce ne peut être que la partie des Juifs qui se reconnaît dans le Crif....Le Crif sait qu'il joue sur un amalgame qui fonctionne bien en Europe et particulièrement en France: toute critique d'Israël est un acte antisémite. Et une grande partie de ceux qui viennent se montrer au dîner du Crif ont à coeur de montrer qu'ils ne sont pas antisémites. Et pourtant, cet empressement à montrer patte blanche a de drôles de relents. Que des Juifs soient antisionistes ou seulement critiques envers la politique israélienne remet en cause ce bel équilibre que quelques notables juifs ont construit et qui semble plaire aux politiques et aux médias.(2) Juif ensuite Français Dominique Schnapper voit dans le Crif une «anomalie» dans cette «représentation semi-politique d'une portion de la population française»: «J'éprouve un grand malaise, chaque année, lors du dîner du Crif, où tous les Premiers ministres vont, dans leurs petits souliers, se faire donner des leçons! Au nom de quoi?» Certains trouvent cela «normal», «l'attachement à Israël faisant partie de l'identité juive», comme le soutient Roger Cukierman. La charte du Crif précise d'ailleurs que «la communauté juive de France reconnaît en Israël l'expression privilégiée de l'Etre juif». La confusion est levée. On est d'abord Juif avant d'être Français. Cette phrase résume plus que cent discours le sacerdoce de cette 5e colonne israélienne en terre de France. Pour l'histoire et pour l'honneur du peuple juif, il faut attester que tous les Juifs ne se reconnaissent pas dans cette organisation, alliée zélée d'Israël. Cependant, son pouvoir est redoutable, par ses réseaux, ses lobbyings, ses sympathisants et tous ceux et celles qui veulent être adoubés par elle, elle exerce un impérial pouvoir sur les médias. Peut-on critiquer Israël? A des degrés divers, les rares critiques objectives de la politique israélienne ont été clouées au pilori et leurs auteurs traînés dans la boue, menacés, boycottés, bref morts socialement et intellectuellement par des «avocats» sans concession et sans conscience et critique objective de la politique israélienne. Le Crif a littéralement le droit de vie et de mort - politique ou médiatique ou sociale- sur tous ceux qui se hasardent à critiquer ne serait-ce que timidement. Le cas de Pascal Boniface, parmi tant d'autres, est édifiant à plus d'un titre. Il met ici au jour une réalité singulière: l'impossibilité de critiquer le gouvernement Sharon sans encourir les accusations les plus extravagantes et des mesures de rétorsion qui s'apparentent au terrorisme intellectuel. «En m'exprimant, écrit Pascal Boniface, sur le conflit israélo-palestinien, je savais que je défiais les lois de la prudence, qui conseillent d'éviter, si l'on n'y a pas un intérêt personnel, de traiter un sujet aussi passionnel. Je pense tout simplement, d'un point de vue moral, que les principes universels ne doivent pas être appliqués de façon sélective et, d'un point de vue réaliste, qu'aucune paix durable ne peut être établie sur la négation des droits d'un peuple...Je trouve inadmissible le terrorisme intellectuel consistant à accuser d'antisémitisme toute personne qui critique le gouvernement israélien, accusation d'ailleurs qui devrait s'appliquer aux pacifistes israéliens et aux juifs français qui partagent ce point de vue».(3) Faut-il encourager le communautarisme? s'interroge Julien Landfried. Telle est la question qu'il est légitime de poser avant la tenue du dîner annuel du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France), en présence de la plus haute autorité de l'Etat, le président de la République, Monsieur Nicolas Sarkozy. «Traditionnellement», c'est-à-dire depuis que les responsables politiques se rendent à des dîners-convocations d'organisations communautaires, c'était au Premier ministre, en particulier, qu'il revenait d'essuyer les critiques concernant la politique étrangère de la France au Proche-Orient. ...De l'affirmation d'une représentativité problématique à celle de méthodes de lobbying ayant fait leur preuve (de la campagne de pression, à l'organisation du dîner annuel qui scelle la connivence entre les élites politiques et les responsables communautaires), le Crif constitue un modèle pour ces organisations. Modèle à double tranchant, car l'influence supposée du Crif nourrit en retour le ressentiment des entrepreneurs communautaires en herbe, et excite parfois un antisémitisme bien réel sur l'air connu du «ils ont tout, nous n'avons rien».(4) Pour l'anecdote, l'Uoif, organisation spirituelle, religieuse et communautaire, a rêvé un temps de devenir le «Crif des Musulmans de France» (le Crim!) qui, lui, rappelons-le, est une organisation laïque respectable à ses débuts mais qui a progressivement évolué comme une «seconde ambassade d'Israël en France», au mépris d'ailleurs des intérêts de la communauté juive de l'Hexagone et de la lutte toujours nécessaire contre l'antisémitisme. Pourtant, force est de reconnaître que certains dirigeants de l'Uoif ont nourri secrètement l'espoir d'être reconnu un jour comme une sorte de «Crif musulman», à la fois craint et admiré par nos hommes et femmes politiques qui, chaque année, se pressent à son «îner-gala» (le fameux «dîner du Crif»), au risque même de se faire humilier par le président en exercice, Roger Cukierman, leur distribuant «bons points» et «réprimandes» en fonction de leur degré de soutien à l'Etat d'Israël.(5) Prenant la parole au dîner annuel du Crif, Sarkozy a annoncé une nouvelle initiative, dans le cadre du «devoir de mémoire» concernant le génocide nazi. Il faudra désormais, a-t-il dit, que chaque élève de classe de CM2, apprenne et retienne le nom et le prénom de l'un des «11.000 enfants français victimes de la Shoah». L'affirmation de Sarkozy est erronée. Car s'il y a effectivement eu 11.000 enfants juifs raflés en France puis assassinés dans les camps de la mort, il ne s'agissait pas, pour la majorité d'entre eux, «d'enfants français». Le propos émane d'un homme qui, dans la France contemporaine, n'a de cesse de durcir la politique gouvernementale à l'encontre des étrangers, et de faire des déclarations xénophobes, comme on le vit bien pendant la campagne électorale. En somme, en conférant la nationalité française, à titre posthume, aux enfants juifs des années 1940, Sarkozy a montré qu'il était capable de compassion pour les sans-papiers...ceux qui ne sont plus là. La proposition du président a provoqué la colère de Simone Veil: «Inimaginable, dramatique, injuste»: Aux yeux de Simone Veil, la suggestion du président de la République risque, en prime, d'attiser les antagonismes religieux. «Comment réagira une famille très catholique ou musulmane quand on demandera à leur fils ou à leur fille d'incarner le souvenir d'un petit Juif?» s'interroge-t-elle. Nous sommes, a déclaré le président du Crif dans son discours bilan et orientation pour la politique de la France, des hommes et des femmes de tradition. Il en est une à laquelle vous n'échapperez pas, c'est celle de l'histoire juive. Le Crif a été fondé par des hommes qui vivaient dans l'angoisse des rafles. Il représente l'ensemble des Juifs de France. J'admire tous ceux qui bâtissent leur vie, en ouverture et réflexion, sur la base d'un engagement religieux. Mais j'ai trop de respect pour ceux des Justes qui étaient des athées pour croire que les religions sont la seule barrière contre le mal. Un peu plus de 350 actes antisémites en 2007 suivant le ministère de l'Intérieur, 30% de moins qu'en 2006, mais 350 de trop, qui laissent un sentiment d'insécurité durable. Plus que toutes les formes de racisme, l'antisémitisme se prête aux clichés et aux constructions imaginaires...Vous en avez fait les frais, Monsieur le président de la République, avant votre visite en Algérie. L'auteur n'a pas démissionné. Vous avez dit de l'antisémitisme: «A force d'expliquer l'inexplicable, on finit par excuser l'inexcusable».(6) «Monsieur le président de la République, vous avez prouvé votre amitié pour Israël, Vous savez les contraintes de sécurité d'Israël. Depuis sept mois le Hamas est au pouvoir à Ghaza, et plus de 700 missiles ont été tirés sur Israël, semant quotidiennement l'angoisse...Israël a été fondé comme Etat juif, avec Jérusalem comme capitale immémoriale. C'est l'Etat du peuple juif. Qu'on ne se leurre pas, le retour des réfugiés palestiniens, ce serait la fin de l'Etat d'Israël. La France, depuis votre entrée en fonction a été d'une extrême clarté sur le nucléaire iranien. L'Iran suit un programme d'enrichissement d'uranium à un niveau qui ne s'explique que par des objectifs militaires. Telle est la simple réalité, malgré les ambiguïtés des rapports et le quitus de M.El Baradei, qui se complaît dans l'aveuglement...La France a passé plusieurs contrats nucléaires civils qui suscitent des inquiétudes. Je ne doute pas que des précautions de sécurité...exceptionnelles...Vous attachez une importance particulière à l'Union pour la Méditerranée. Les Juifs ont vécu en Afrique du Nord 1000 ans avant la conquête arabe. Les pays qui revendiquent de la France la repentance au nom de la mémoire seraient bien inspirés de ne pas effacer toute mémoire de la présence juive. Certains voudraient engager cette union sans inclure Israël: nous savons que pour vous c'est inacceptable». Voilà, en quelques phrases, l'essentiel de la feuille de route de la diplomatie française mise en oeuvre avec un zèle de bénédictin par Bernard Kouchner. Tout y est: Israël est une nation qui appartient à la civilisation qu'il faut défendre même si pour cela la France y perd son âme. Imaginons, pour rêver, que l'Uoif invite M. Sarkozy et lui demande de reconnaître la responsabilité de la République française dans le drame colonial algérien, qu'elle lui demande d'être juste avec les Palestiniens. C'et assurément une utopie car les musulmans de France, plus divisés que jamais, n'ont pas la pesanteur dans les deux institutions majeures qui gouvernent le monde, l'empire des médias et l'empire de la finance, naturellement boostées, on l'aura compris, par une intelligence supérieure...Il faut ajouter que parmi tous les présidents du Crif, Roger Cukierman fut un adversaire acharné de tout ce qui est beur, arabe et en définitive musulman. On lui doit la fameuse phrase en 2002, lors du score de Le Pen, où il «l'exhorte à s'occuper des Arabes». En 2003, il a créé la polémique lors du traditionnel dîner annuel du Crif, en présence du Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, en assimilant antisionisme et antisémitisme et en dénonçant une «alliance brun vert rouge» visant de ce fait, l'Islam. L'industrie de l'Holocauste Pour nous rendre compte du fait que l'aspect pécuniaire n'échappe pas aux préoccupations de la communauté, rapportons ce texte paru curieusement la veille du dîner du Crif. Il s'agit de dédommagement des oeuvres de Georges Lévy arrêté et spolié par la Gestapo: L'année de sa déportation, cet ensemble est embarqué par les nazis pour l'Allemagne. Il est vrai que la description des pièces de la collection de Georges Lévy était fort succincte. En 1962, les ayants droit de Georges Lévy bénéficient de la loi Brüg, votée en Allemagne, qui indemnise les biens spoliés à hauteur de 50%. Ils toucheront l'équivalent de 3,7 millions d'euros. En 1997, après le discours de Jacques Chirac qui reconnaît la responsabilité de la France dans la déportation des juifs, Alain Juppé installe une mission qui débouche en 1999 sur une commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation. En 2005, Jean Géronimi, le rapporteur général qui a eu à traiter de la requête des héritiers Kaplan, estime que l'Etat français doit verser une somme équivalente à celle déjà versée par les Allemands. Ce n'est pas l'avis d'Henri Hajdenberg, avocat des héritiers Kaplan. Celui-ci estime que «l'indemnisation, aujourd'hui, de la collection Lévy, ne saurait être indexée sur l'estimation retenue par les autorités allemandes plus l'inflation». Il arrive à une somme plus de dix fois supérieure: plus de 40 millions d'euros. Mais peut-on évaluer des tableaux dont on ne possède pas une image? (7) Au vu de la marchandisation de la détresse humaine, et profitant d'une reconnaissance en principe symbolique, on est tenté de prendre à notre compte l'ouvrage de Norman Finkelstein: L'industrie de l'Holocauste qui avait défrayé la chronique, et où l'auteur raconte l'instrumentalisation insatiable des dividendes de la détresse du peuple juif lors de la Seconde Guerre mondiale. (*) Ecole nationale polytechnique 1.Régis Soubrouillard: Dîner du Crif: Sarkozy passe à table. Samedi 5 janvier 2008 2.Rudolf Bkouche Ujfp Le dîner du Crif 21.02.2007 http://www.ujfp.org/modules/news/ar... 3.Chems Eddine Chitour: Le monde occidental et le complexe de l'holocauste. L'Expression 4.Julien Landfried: Sarkozy reçu par le Crif: Faut-il encourager le communautarisme? 13/02/2008 5.Vincent Geisser: L'Uoif ou le «complexe du Crif». Oumma.com mercredi 13 décembre 2006 6.Discours de Richard Prasquier, président du Crif, 13 février 2008 7.Nicolas Sarkozy hérite de l'affaire Lévy: Le Monde 13.02.2008.