Cette tradition est vécue avec une grande ferveur par tous les villages. Elle est même célébrée en famille à l'instar de tous les legs ancestraux. La campagne de fenaison bat son plein en Kabylie. Des habitants d'une dizaine de villages ont entamé cette campagne en montagne à quelque 1 400 m d'altitude. Les habitants des villages d'Aït Salah, Aït Ikhlef, Ihitoussène, Aït Saïd, Aït Ikène, Aït Aïcha, Iguersafène, Mehagga… entament tous ensemble ce grand rendez-vous annuel hérité depuis des lustres. Depuis longtemps, en effet, ce coup d'envoi est érigé dans la règle des traditions. Il est fêté en famille comme le sont tous les legs ancestraux. La veille du départ vers ces étendues herbeuses, préservées et gardées, Dda l'hadj Amar Ath Amara a appelé, avec le haut-parleur de la mosquée d'Ihitossène, tous les villageois à se munir d'argent pour payer le gardien qui a veillé durant plusieurs semaines au respect du règlement interdisant le pacage aux lieux-dits Thilefsiwine, Nezla, Lewdha Bwedrar ou Thibhirine Ath Saïd. Au village d'Aït Salah, cette tradition pastorale est vécue avec une grande ferveur par tous les habitants. Normal, dirions-nous, avec un cheptel immense, soit près de la moitié du patrimoine bovin et ovin de la commune, voire de la daïra. Cette année, la fièvre est montée d'un cran car la production de fourrage en basse plaine est considérée comme catastrophique. Il y a une semaine la botte de foin a atteint 450 DA. La production s'est même répercutée sur les prix dans les marchés aux bestiaux qui ont enregistré une baisse remarquable. Depuis une semaine, les tracteurs tirant des botteleuses ont déserté les villages et même le chef-lieu pour rejoindre les champs situés à la limite de la forêt d'Akfadou. Les moyens de transport sont variés : bennes de tracteur, baudets, fourgons et… à pied. Bien avant la prière d'El Fedjr, les habitants des villages concernés se réveillent pour rejoindre les champs, distants de 5 à 10 km, selon les secteurs et le circuit utilisés (pistes ou carrossables). Munis de faux, de faucilles, mais surtout de leur gamelle de victuailles, constituées de pommes de terre frites, poivrons, tomates, œufs durs, couscous aux légumes et à la viande, desserts et bien sûr du café, les citoyens démarrent tous ensemble pour rejoindre, dans la fraîcheur matinale, leurs propriétés et commencer le travail aussitôt. Le temps compte pour tous les habitants qui sont astreints à rester sur les lieux de 5 h à 19 h. Tous rivalisent d'efforts pour achever l'opération de fauchage afin de ne pas être pris de court et prendre part à la phase de bottelage qui, elle, n'attend pas. Cette année, une botte de foin revient à 40 DA, un prix considéré comme excessif par les producteurs. En effet, le bottelage de 100 bottes revient à 4 000 DA. Ces calculs font frémir les propriétaires de cheptels qui devront débourser pour l'achat supplémentaire de fourrages si l'hiver prochain ressemblait à celui de cette année. Selon les habitants du village d'Aït Salah, il faudra une production d'au moins 20 000 bottes pour se prémunir de toute mauvaise surprise d'ordre climatique. Enfin, pour terminer, toutes les bottes de foin devront être acheminées vers des granges situées, soit dans la montagne, soit dans les villages. Un orage pourrait se révéler catastrophique pour les fellahs, le fourrage étant un aliment très fragile au contact de l'eau. La campagne de fenaison qui commence fin mai devrait s'achever avant le début de l'été. C. NATH OUKACI