L'homme est entier, l'artiste sans concession. Kouider Mejahed, 48 ans, est né et vit à Sabra, à seulement une trentaine de kilomètres de Tlemcen, mais à des années lumières d'un rayonnement artistique indispensable pour sa créativité car, en dehors des grandes agglomérations, comme il le dit, il n'y a point de vie pour un artiste. “L'absence de culture pousse la société à l'anarchie”, décrète-t-il, en prenant en exemple son propre parcours. Peintre, sculpteur, Mejahed s'ingénie à souffler la vie dans l'orme, un bois noble qu'il façonne à la poursuite de ses rêves libidineux prenant pour première muse la femme dans toute sa nudité. Un corps qu'il exalte, qu'il étale malgré les interdits sociaux, une œuvre au-delà d'un défi qui peut lui valoir des restrictions et des conditions pour exposer. “En 2003, je devais exposer à la Maison de la culture de Tlemcen et parmi mes œuvres, la sculpture d'une femme enceinte en position d'accouchement, mais là on a conditionné mon exposition à ce que je la retire justement.” Mejahed change alors de méthode sans pour autant abandonner son sujet de prédilection et verse dans l'abstrait pour contourner l'interdit. Le corps de la femme est omniprésent dans son univers artistique qu'on peut suivre à la trace de l'inspiration dans la forêt de ses œuvres. Une femme mystère qui prend forme à partir de la bûche d'orme, difficile d'accès car prohibée par les services forestiers qui ne délivrent pas d'autorisation pour son exploitation. La femme, née d'abord dans le péché, celui du vol, pour divulguer ses formes généreuses dans un monde qui détourne hypocritement le regard. “Généralement, on vole le bois pour travailler parce qu'il est interdit de l'exploiter. Les bûches sont ensuite immergées dans l'eau de plusieurs oueds pendant une à deux années avant de les sculpter”, confesse Mejahed, qui n'utilise que des outils traditionnels, le ciseau, la râpe ou la gouge pour rendre hommage à l'orme. “Le teck est à 8 000 DA le mètre cube, trop cher pour un artiste”, ajoutera-t-il comme pour se dédouaner. Mejahed, qui se dit victime de la hogra de ses pairs, regrette l'absence d'espaces d'exposition en dehors d'Alger ou d'Oran et pour lui faire une exposition en dehors des grands centres urbains équivaut à crier dans un oued. L'artiste a exposé à Tlemcen en 2002 et 2003, Maghnia en 2005, Oran en 2006 et Alger l'année dernière et s'apprête à présenter ses créations à la galerie Lotus dans quelques mois.