Au lendemain d'une nuit d'émeutes qui ont embrasé plusieurs quartiers de la capitale, Bab El-Oued semble renouer avec le calme en cette matinée de jeudi. Un calme jugé toutefois précaire par les habitants de ce quartier. À 10h30, les rues étaient nettoyées et les citoyens vaquaient déjà à leurs occupations. La circulation est plus ou moins fluide dans ce quartier connu pour ses grands encombrements et la plupart des magasins sont ouverts. Hormis quelques carcasses de voitures saccagées, des pneus brûlés et les traces de fumée sur les murs des habitations ainsi que des vitrines brisées, rien n'indique que ce quartier était le théâtre d'affrontements une nuit durant. Une nuit où les jeunes ont exprimé leur ras-le-bol. La surveillance du commissariat du 5e arrondissement, qui a subi la nuit précédente des tentatives de “forcing”, a été renforcée davantage par des camions de brigades antiémeutes. Abdenour, un jeune homme, tente de réparer la serrure de son magasin du côté du quartier de Triolet, qui a été cassée. “C'est mon bureau de tabac, on m'a volé des cigarettes et de l'argent que je gardais dans la caisse, ce n'est pas grand-chose. Que voulez-vous que je vous dise, c'est une réaction tout à fait normale des jeunes désespérés. Ils manquent de tout et le peu d'argent qu'ils tentent d'amasser en faisant des petites bricoles est absorbé par l'inflation. Nous sommes des commerçants et nous avons du mal à joindre les deux bouts, alors vous imaginez ceux qui ne travaillent pas”, déplore-t-il avant de s'interroger : “Où va l'Algérie ?” D'autres magasins à Bab El-Oued n'ont pas eu autant de chance. Ils ont été complètement vandalisés et vidés de leurs marchandises. “Il ne faut pas stigmatiser Bab El-Oued, c'est une crise qui touche tous les algériens. Nous somme fatigués de vivre sans horizon, sans projet, sans rien. Si les Algériens avaient des salaires qui leur permettent de vivre, ils n'iront pas voler… Il faut arrêter de dire que nous sommes des voyous qui détruisons notre pays. C'est normal que ça se passe de cette manière car le gouvernement ne réagit qu'à la casse”, lance un autre commerçant. Et d'ajouter que dans toutes les manifestations du monde, il y a toujours des chahuteurs et un peu d'exagération. “Il n'y a qu'à voir ce qui s'est passé en Grèce lors des manifestations contre la cherté de la vie.” De Triolet aux Trois-horloges en passant par Maillot, la population ne décolère pas. Les mêmes propos sont répétés. Des jeunes, des moins jeunes, des femmes et même des vieux ont exprimé leur colère contre la situation sociale qui perdure depuis plusieurs années sans que les pouvoirs publics ne bougent le petit doigt. Révoltés par certains médias qui les avaient qualifiés de casseurs, les protestataires ont tenu à répondre à ces accusations. “Nous sommes une population comme toutes les autres et nous aimons notre pays, nous voulons simplement une vie digne avec un travail et un salaire qui peut nous assurer une vie tout à fait normale”, dira un sexagénaire. Bien sûr, il s'insurge contre la casse et la destruction des biens. “On devrait faire une grève générale et tous les magasins seront fermés, personne ne sortira de chez-lui et le gouvernement saura quoi faire”, poursuit-t-il. 13h15, Bab El-Oued est devenue un quartier mort : magasins fermés, écoles vides, citoyens affolés... Des affrontements viennent de commencer. Le commissariat du 5e est encore la cible des émeutiers. Ils ont été repoussés par la brigade antiémeutes. Des affrontements ont eu lieu dans plusieurs quartiers. Bab El-Oued est vite bouclée jusqu'à la place des martyrs par un grand dispositif policier. Des affrontements entre manifestants et policiers ont eu lieu dans plusieurs quartiers avant que le calme ne revienne à 15h30. Mais juste pour quelques heures car une autre nuit chaude s'annonce.