Le quartier de La Boucheraye, Fontaine-Fraîche et Diar El-Kef, situé dans la commune de Oued Koriche (daïra de Bab El-Oued) à Alger, a été, durant le nuit de mardi à mercredi, le théâtre d'affrontements entre des jeunes habitants et les forces antiémeutes. Bab El-Oued a repris hier après-midi son calme. Les citoyens vaquaient à leurs occupations et la circulation était plus ou moins fluide dans ce quartier connu pour ses grands encombrements. Les restes des voitures calcinées, des pneus brûlés et les traces de fumée bariolant les murs des magasins et habitations indiquent que ce quartier était le théâtre d'une nuit d'enfer. “L'horreur a commencé vers 23h30 dans la nuit de mardi à mercredi”, nous dira une victime, rencontrée au quartier Saïd-Touati (Bab El-Oued) où les manifestants s'étaient réfugiés. “J'étais avec ma famille lorsque les forces de l'ordre ont tenté de bloquer l'accès à nos anciennes baraques du côté du quartier de La Boucheraye (Fontaine-Fraîche). Nous avons été tabassés, femmes, enfants et vieux, puis dispersés au gaz lacrymogène”, raconte-t-elle. Dépités par la non-prise en charge de leurs revendications liées au relogement, les jeunes, moins jeunes et même des vieux se sont révoltés pour exprimer leur ras-le-bol d'une situation sociale qui perdure depuis plusieurs années. Selon la version des émeutiers, seulement quelques familles habitant des baraquements ont été transférées vers des habitations décentes et le reste a été emmené dans des “camps”. En effet, la wilaya d'Alger a évité, dès le départ, d'annoncer la couleur aux familles des bidonvilles concernés (Diar El-Kef, Fontaine-Fraîche, La Boucheraye d'Oued Koriche) pour cette huitième opération de relogement. Les responsables chargés de cette opération ont fait sortir les habitants de leurs baraques pour les transporter au parking du stade 5-Juillet où ils ont passé la nuit, avec meubles et bagages à bord de camions que la wilaya a loués pour la circonstance avant de les placer dans un site du côté du quartier des Eucalyptus (commune de Bourouba) depuis dimanche dernier. En même temps, les services de la wilaya ont procédé à la destruction de leurs baraques afin d'empêcher tout retour des familles à leurs anciennes habitations. Une fois là-bas, selon les émeutiers, les familles ont découvert que ce n'était pas tout le monde qui devait bénéficier d'un logement. La liste ayant été déjà préparée et des dizaines de familles qui ont eu des décisions d'attribution de logement ont vu leur nom retiré de la liste sous prétexte qu'ils avaient déjà des biens immobiliers. “Ma famille habite le quartier de Fontaine-Fraîche depuis 1951. Nous avons été classés sinistrés de La Casbah depuis l'époque coloniale et nous n'avons jamais bénéficié de logements. Certes, moi j'ai eu un logement AADL mais mon frère et ma mère n'ont rien eu. Ils n'ont qu'à faire une enquête pour découvrir les familles qui ont bénéficié d'un logement auparavant”, nous dira M. T., Fatah. Ses voisines viennent le rejoindre, les unes après les autres, pour faire part de ce qu'elles ont vécu durant la nuit du mardi à mercredi. “Ils nous ont parqués dans un camp de concentration au milieu de nul part à côté des Eucalyptus, loin des regards des estivants. Des enfants et des femmes se sont retrouvés hospitalisés pour insolation après quatre jours. Les émeutes étaient prévisibles, aucune personne ne supporterait cette humiliation. Nous sommes tous des Algériens et nous avons droit au logement, si ce n'est pas le cas, ils auraient dû nous laisser dans nos baraques”, nous dira M. Azouz. Abandonnées dans la rue, les centaines de familles ont fini par perdre patience. Ils ont décidé de repartir dans leur quartier d'origine et prendre d'assaut le siège de l'APC. Arrivés dans ce quartier, la route leur a été bloquée. L'intervention des forces antiémeutes, quelques minutes plus tard, a mis le feu aux poudres. Les familles se sont alors dirigées vers leur ancien quartier (Boucheraye, Fontaine-Fraîche et Diar El-Kaf) où ils ont squatté la voie publique, bloquant ainsi la circulation en mettant le feu à des pneus et en brûlant des voitures. Des jeunes, dont l'âge varie entre 15 et 25 ans, faisaient face aux forces de police et ont continué leur révolte jusqu'à mercredi vers 3h du matin. Résultat : des dizaines de blessés dont des policiers et plusieurs interpellations opérées parmi les émeutiers. Les affrontements ont repris le lendemain matin vers de 11h30, mais cela a duré seulement une heure. Perchés sur la colline, ils lançaient leurs projectiles sur les forces de l'ordre sans crainte de représailles. Le chemin menant vers le Triollet (Bab El-Oued) a été fermé à la circulation. Les affrontements ont transformé les alentours de ce quartier en un véritable champ de bataille où de nombreux dégâts ont été enregistrés. Rien n'a été épargné. Un “ghetto” que les services de sécurité n'ont pu atteindre malgré leur impressionnant renfort. Les émeutiers, de leur côté, refusent de céder leur droit au logement et demandent au président de la République d'intervenir.