Alors qu'en Algérie les émeutes, qui ont embrasé l'ensemble du pays, prennent fin, la révolte continue à se propager en Tunisie, avec une intensité et une contagion jamais observées depuis son indépendance. Chez nous, il semble que l'heure est à la sanction judiciaire. Ensuite, “la même feuille de route”, selon l'expression de Ould Kablia, reprendra son bonhomme de chemin. Au vu de la panique du régime qui se lisait au travers les propos du ministre de l'Intérieur, le coup de semonce a été entendu. Il n'est donc pas sûr que le gouvernement en restera aux mesures réhabilitant le commerce informel. Renoncer à l'assainissement du commerce d'importation et de la distribution locale ne peut pas constituer une réponse politique à une demande sociale, si tant est que les émeutes n'exprimaient que des besoins sociaux. Mais, habitué qu'il est à ignorer les messages des mouvements populaires, une fois l'incendie éteint, le pouvoir se contentera probablement de ces raccourcis qui réduisent le soulèvement au résultat d'une incompréhensible inclination d'une partie de la jeunesse à la violence. Si l'Algérie dispose des moyens financiers pour entretenir le replâtrage d'une politique aux échecs à répétition, la Tunisie semble parvenue à la limite de ce que la gestion Ben Ali pouvait assurer comme stabilité civile. L'ampleur, grandissante, des manifestations et leur durée, et le bilan qui s'exprime en dizaines de morts, l'incapacité du président Ben Ali à se faire entendre des jeunes Tunisiens, malgré deux interventions directes, montrent que le régime de Tunis fait indéniablement face à une lame de fond. De fond politique. Au moment où la soupape sociale cède, où les sangles du contrôle administratif sautent, il apparaît que l'épouvantail islamiste qui, jusqu'ici, justifiait le joug policier, ne fait plus recette. Le recours au suicide, le cinquième depuis le début des évènements, donne la mesure du désespoir qui s'exprime à travers un mouvement qui semble se propager à la manière d'une “ola”. C'est peut-être à un vrai “5 Octobre” tunisien qu'on assiste depuis quelques semaines. Il y a peut-être de “la casse”, mais, à travers les slogans des émeutiers, le message est franchement politique et la nature du régime, liberticide, prédateur et népotique, est clairement identifiée et dénoncée. L'existence d'une société civile autonome, notamment dans le monde syndical et parmi les avocats et les défenseurs de droits de l'Homme, et le niveau d'éducation appréciable de la jeunesse tunisienne aideront certainement à donner du sens au mouvement. Son issue dépendra du rôle de cette élite qui s'est discrètement construite dans le dur contexte d'une société étouffée. S'étant de fait imposé président à vie, après avoir déposé un président à vie, Ben Ali a, comme tous ses pairs d'Afrique du Nord, condamné son pays à évoluer par le putsch et le chaos. En attendant une hypothétique mutation démocratique, le Maghreb semble “uni” dans une existence faite de cycle émeutes-répression. M. H. [email protected]