La crise alimentaire qui avait secoué plusieurs régions du monde en 2008 sera encore plus “dure” en 2011. C'est l'avertissement lancé, hier après-midi, par Sébastien Abis, expert en questions agricoles, lors de la conférence, intitulée “Le défi de la sécurité alimentaire pour le pourtour méditerranéen”, qu'il a animée à l'hôtel Hilton d'Alger. Sans cacher son pessimisme, le Français affirme que, concernant la crise alimentaire, “tous les voyants sont au rouge”. Insistant sur les enjeux géopolitiques et stratégiques de la question agricole, Sébastien Abis note que “les révoltes sont d'abord nées à cause de la fragilité alimentaire”, en rappelant que “2011 démarre dans un climat crisogène”. Il n'hésitera pas à revenir sur la situation de la Tunisie, “ce qui s'est passé a pris racine dans les distorsions territoriales”. Ce facteur intraterritorial, l'expert l'explique par le fait que “le cordon littoral urbanisé est connecté à la mondialisation et que les territoires ruraux sont devenus des enclaves”, en précisant que cette fracture “et ces écarts de développement sont porteurs de turbulences au niveau politique des pays”. Sans aller à prédire des révolutions dans d'autres pays, il précisera que l'avenir tout proche, en parlant même de 2011, donnera encore des émeutes de la faim, “à l'image de celles qui se sont produites dans le monde en 2008”. Son approche, bien différente des “déclarations” intempestives sur les prix de l'huile et du sucre, a été élaborée en s'appuyant sur des chiffres et des faits établis. Ainsi, en mentionnant les derniers achats de certains pays sur les marchés mondiaux du blé, il lâcha : “Les décideurs renvoient des signaux de turbulences potentiels.” Il ajoutera que pour plusieurs pays, “la priorité était de nourrir les villes et d'acheter la paix sociale”, en indiquant que cette attitude n'aura pas le même impact d'il y a quelques années, “la justice sociale passe par l'agriculture”. La “réalité” des chiffres est tout autant implacable : 40 millions des habitants des pays du Sud et Est méditerranéens sont sous-alimentés et un tiers des décès sont d'origine alimentaire. Mieux encore, depuis 2004, la consommation de blé du Maroc, de l'Algérie, de la Tunisie, de la Libye et de l'Egypte a augmenté de 25% ; “Ces cinq pays, soit 2% de la population mondiale, représentent 6% de la consommation mondiale du blé, et entre 18 et 20% des importations de blé dans le monde”. En Algérie, et depuis 10 ans, les importations de produits agricoles représentent 20% des importations globales du pays. Des chiffres venus confirmer, pour ceux qui l'auraient oublié, qu'il n'y a aucune politique agricole dans ces pays. L'Algérie est même dans la posture d'une fuite en avant, en s'appuyant uniquement sur les recettes pétrolières, mettant de côté tout effort pour l'avenir, proche et lointain. Pour conclure, Sébastien Abis, en rappelant la “sentence” du défunt expert algérien, Hamid Aït Amara, déclara que “la crise alimentaire est devant et non derrière”. Toujours aussi pessimiste, l'expert français est même convaincu qu'“il n'y aura plus jamais d'autosuffisance alimentaire en Méditerranée”.