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“L'Etat ne doit pas voir d'un œil méfiant l'émergence de grands groupes privés” kamal benkoussa Partner chez gh llp, hedge fund macroéconomique américain
Kamal Benkoussa, Partner chez GH LLP, Hedge Fund macroéconomique américain, revient, dans cet entretien, sur les dernières mesures prises par le gouvernement pour stabiliser les prix du sucre et de l'huile. Il propose un certain nombre de pistes de réflexion permettant aux entreprises algériennes, aussi bien publiques que privées, de générer des emplois et de créer de la croissance. Liberté : Comment avez-vous perçu les dernières mesures prises par le gouvernement, notamment celle concernant le sucre blanc ? Kamel Benkoussa : Pour commencer, je voudrais souligner qu'il est louable de la part de l'Etat d'avoir réagi aussi rapidement et pris des mesures concrètes pour faire baisser les prix de vente au détail du sucre et de l'huile. Rappelons cependant que la forte augmentation du prix de ces denrées de première nécessité est due à deux facteurs : la forte hausse des prix sur le marché international des “soft commodities” (blé, sucre, huile, café…), hausse liée à la croissance brutale et au changement des habitudes alimentaires des pays émergents tels la Chine et l'Inde, auxquels s'ajoutent les aléas climatiques de 2010 qui n'ont pas vraiment aidé. Un marché de gros en Algérie, tiraillé entre l'informel et l'officiel, qui fait que toute tentative de collecte de l'impôt dû (TVA) provoque des tensions immédiates et souvent exagérées sur les prix de gros puis de détail. Notre pays n'a aucun contrôle sur le premier facteur qui, d'après de nombreux économistes, continuera à exercer des pressions inflationnistes sur les marchés internationaux, ce qui, malheureusement, pénalisera fortement le consommateur algérien dans les années à venir. En supprimant la TVA sur le sucre et l'huile, l'Etat s'est fort justement attaqué au deuxième facteur, permettant ainsi de freiner l'envolée des prix. En plus de ces mesures nécessaires, l'Etat a également décidé de supprimer les droits de douanes sur le sucre roux (matière brute) et le sucre blanc (produit de transformation issu du raffinage du sucre roux). Cette décision, prise sans concertation, aura malheureusement à long terme des conséquences néfastes sur le tissu industriel algérien. Quelles seraient les conséquences à long terme de ces mesures sur l'économie ? Supprimer les droits de douane à l'importation sur le sucre brut est une bonne mesure, car elle permet une réduction du coût à la production du sucre raffiné en Algérie et donc de son prix de vente final. La suppression de ces mêmes droits de douane sur le sucre raffiné aura quant à elle un faible impact à long terme sur les prix de détail de ce sucre. Cette mesure d'encouragement à l'importation de produits finis aura surtout des conséquences désastreuses pour notre économie et nos industries de transformation locales : usage sous optimal des réserves de changes, il coûte plus cher d'importer du sucre blanc que du sucre roux ; disparition des raffineries algériennes qui transforment le sucre roux importé en sucre blanc, et donc perte de tout espoir de voir émerger une industrie locale créatrice d'emplois et de revenus (salaires et revenus d'impôts). L'annulation des droits de douane, qui aurait pu être une mesure louable si elle avait été appliquée à un secteur dont la production domestique n'arrive pas à satisfaire la demande locale, risque de créer des déséquilibres importants et irréversibles sur le marché du sucre blanc en Algérie. En effet, avec une demande locale largement satisfaite par la production domestique, le surplus de sucre subventionné à l'importation risque de fragiliser, voire d'anéantir toute activité de raffinage en Algérie. À long terme, cela aura des conséquences catastrophiques sur l'emploi et l'économie de notre pays. Il est tout aussi important de protéger le consommateur que d'assurer le salaire et l'emploi de dizaines de milliers de travailleurs algériens qui contribuent à la croissance du pays. Le marché algérien ne se résumera en quelque sorte qu'à une formidable opportunité de super profits à moindre risque (garanties de l'Etat algérien) pour de grands groupes étrangers, et ce, au détriment du développement d'une industrie locale et du pouvoir d'achat des ménages algériens (chômage accru et inflation importée). Il est important de rappeler que l'Europe n'a pas hésité à imposer une taxe spécifique de 100% sur le sucre blanc en provenance de pays comme l'Algérie pour protéger ses producteurs ! De plus, à l'heure où même les économies les plus libérales (Etats-Unis) prennent des mesures incitatives pour encourager la consommation de produits nationaux (protégeant ainsi leurs industries), pourquoi l'Algérie ne pourrait-elle pas en faire autant ? Pourquoi fait-elle table rase de ses réelles chances de développement économique en aggravant son niveau de dépendance vis-à-vis de ses importations, alors que l'Etat a le devoir de protéger et de soutenir les entreprises privées créatrices d'emplois pour notre jeunesse ? L'Algérie semble se complaire à vivre au rythme des fluctuations des prix des denrées importées et à accepter le diktat économique des grandes puissances. Au lendemain d'une crise internationale sans précédent, notre gouvernement a la lourde responsabilité de soutenir et d'encourager le développement du secteur privé s'il veut éviter à l'Algérie une crise économique et sociale d'une ampleur jamais égalée depuis son indépendance ! Selon vous, quelles seraient les bonnes mesures à prendre ? L'Algérie aurait tout intérêt à suivre l'exemple d'autres pays émergents qui ont tout simplement supprimé la TVA sur les denrées alimentaires de première nécessité tout en maintenant les barrières douanières à l'importation. Cela permettrait à l'industrie de transformation locale de se développer, tout en réduisant la facture alimentaire des ménages algériens. Le gouvernement se doit d'allouer et d'investir de manière optimale les richesses du pays, notamment nos réserves de changes et nos revenus futurs du gaz et du pétrole. À quoi bon dépenser des sommes considérables pour essayer vainement et sans succès de prendre la place d'un secteur privé plus à même d'attirer, de motiver et de mettre en valeur les ressources extraordinaires de notre jeunesse ? Notre Etat doit avoir conscience que nos réserves de changes et nos ressources naturelles ne sont pas intarissables. L'Etat doit se concentrer sur ses fonctions régaliennes et s'appuyer sur le dynamisme du secteur privé, tout en s'inspirant de son expertise et de son engagement. Cela ouvrirait à notre pays les chemins de la croissance. Les forces vives de notre pays aussi bien privées que publiques doivent être allouées de manière optimale tout en travaillant dans la complémentarité et la confiance. Il n'est pas dans l'intérêt de l'Algérie que le gouvernement soit omniprésent dans tous les secteurs d'activité ! Le gouvernement doit mettre en place un cadre légal permettant aux entreprises algériennes de générer des emplois, de créer de la croissance et enfin de ne pas bloquer la réalisation de projets vitaux pour le pays. L'Etat ne doit pas voir d'un œil méfiant l'émergence de grands groupes privés en Algérie. En effet, dans la majorité des pays industrialisés, il est plus optimal (économies d'échelle), pour maximiser l'utilité collective, de n'avoir dans certaines branches d'activité qu'un nombre limité d'opérateurs, souvent appelés “champions nationaux”, permettant de satisfaire la demande au moindre coût. Les économies d'échelle sont particulièrement importantes dans les secteurs économiques où les coûts fixes sont élevés ou impliquant des investissements lourds en recherche et développement. L'Etat se doit non seulement de protéger ses entreprises privées (sources de richesse), mais aussi de garantir le pouvoir d'achat des plus démunis en Algérie. Une politique de compensation judicieuse, ciblée sur les classes défavorisées, permettrait aussi de réduire l'impact de la hausse des prix sur le quotidien des ménages à faible revenu tout en limitant le coût sur le budget de l'Etat. Suivons l'exemple du Brésil ! Un pays en grandes difficultés il y a dix ans, devenu aujourd'hui la huitième puissance économique mondiale. Inspirons-nous de la politique économique du gouvernement du président Lula qui a permis l'émergence d'un secteur privé riche et diversifié mieux à même de créer des emplois et de la richesse. Modèle dans lequel il incombe à l'Etat de veiller au partage équitable de cette richesse et donc de réduire l'écart entre les différentes classes sociales. Cela suppose que le gouvernement algérien devra apprendre à faire confiance en la capacité qu'ont les industriels privés à générer efficacement de la croissance et de surcroît des emplois. La prospérité des générations futures en Algérie ne pourra être assurée qu'en libérant l'initiative privée, plutôt que de l'inhiber et de lui faire peur. Je vous laisse conclure... Fier d'être un petit-fils de la révolution de Novembre 1954, je me refuse de croire que tous les espoirs d'un peuple, qui jadis s'était levé comme un seul homme pour défendre ses libertés, puissent être un jour réduits à néant ! Les ressources naturelles et humaines de notre pays sont exceptionnelles. À nous de les exploiter avec intelligence et vision. Donnons une chance à la jeunesse algérienne en faisant confiance aux forces vives de notre pays et en leur permettant de prouver au monde entier qu'ensemble nous pouvons construire une Algérie moderne et prospère.Pour conclure, j'aimerais soulever deux questions qui me semblent importantes : allons-nous condamner l'Algérie à rester aussi dépendante de ses importations au risque de compromettre l'avenir de tout un peuple plein d'énergie qui réclame légitimement un enseignement d'excellence et un travail ? Bref, le droit de vivre décemment sur sa terre ? Ne devrions-nous plutôt pas prendre exemple de ces puissances émergentes telles le Brésil, l'Inde ou encore la Chine qui ont misé sur leur secteur privé et leur jeunesse, et qui, aujourd'hui, dament le pion aux grandes puissances ?