Deux ans après la crise des subprimes qui a ébranlé les marchés financiers, le monde s'apprête à connaître une période très difficile. En effet, depuis que le poids de la dette des états est devenu un véritable risque pour les pays occidentaux, ils sont aujourd'hui confrontés à un véritable dilemme : réduire leurs dépenses budgétaires ou au contraire accroître significativement leurs déficits afin de soutenir leurs économies. Le risque d'une spirale déflationniste “à la japonaise”, qui plongerait pour les dix prochaines années une grande partie des économies dans une crise généralisée, est devenu réalité. Afin de mieux comprendre cette nouvelle réalité économique, il convient d'expliquer plus en détail les mécanismes de la crise de la balance des paiements que nous vivons. Crise de la balance des paiements Le premier secteur à subir les conséquences de l'explosion d'une bulle financière est très souvent le secteur privé. En effet, la dévaluation de ses actifs (biens immobiliers, actifs financiers, etc.) financés par de l'emprunt détériore considérablement son bilan comptable ou balance des paiements. Devenues fortement endettées, les entreprises privilégient le remboursement de leur dette à l'investissement. De leur côté, les ménages, très inquiets de l'avenir, préfèrent épargner plus afin de parer à toute éventualité. Tous les schémas classiques de relance par l'investissement et/ou la consommation deviennent alors inefficaces. Lorsque le privé n'investit plus et que les ménages réduisent leur consommation pour épargner plus, l'activité économique ralentit considérablement. Ce phénomène est plus communément connu par les financiers sous le nom de crise de la balance des paiements. Le schéma I ci-dessous présente de façon très simplifiée le mécanisme standard de transfert et de création de richesse dans une économie classique. Le revenu des ménages est essentiellement alloué à l'épargne placée en banque et à la consommation (étape 1). La consommation d'un ménage “A” génère alors du revenu pour un autre ménage “B” et l'épargne placée en banque permet à l'entreprise qui l'a empruntée auprès de cette même banque d'investir et de produire (étape 2). Cependant, lors d'une crise de la balance des paiements, le schéma I n'est plus valable. En effet, le secteur privé fortement endetté n'emprunte plus et les banques n'osent plus lui prêter de l'argent. Ainsi, les 100 $ épargnés en banque par le ménage “A” ne sont ni prêtés par cette banque, ni empruntés par le secteur privé (schéma II). Bref, ils restent en banque et sortent totalement du circuit monétaire de création de richesse. Ce n'est plus 1 000 $ qui se retrouvent dans l'économie lors de l'étape 2 mais plus que 900 $ (schéma II) qui deviendront par la suite 810 $ lors de l'étape 3 (900 $ moins les 10% d'épargne), puis 729 $ lors de l'étape 4 (810 $ moins les 10% d'épargne), etc. La réduction de l'investissement et la baisse du revenu des ménages contractent alors fortement la demande domestique et accélèrent la chute du prix des actifs (biens immobiliers, biens de consommation, actifs financiers, etc.) initialement provoquée par l'explosion de la bulle financière. On appelle cela de la déflation. Si l'état ne prend pas le relais du privé par la mise en place de stimuli fiscaux lui permettant d'emprunter l'épargne accumulée en banque et de la réinjecter dans l'économie, dans le cadre d'un plan de grands travaux créateurs d'emplois et de richesses, l'économie se contractera de manière inéluctable. La grande récession au Japon (1990-2005) Ce phénomène a pu effectivement être observé lors de la crise que le Japon a connu au début des années 90. En dépit de conditions favorables à l'investissement et à la consommation, l'activité économique n'arrivait pas à redémarrer. Richard C. Koo, économiste à la Federal Reserve Bank of New York, étonné de l'inefficacité de la politique de réduction des taux directeurs de 8% à 0% entre 1990 et 1997 décida alors de s'y intéresser de plus près. Il constata avec stupeur que la politique monétaire n'avait pas eu l'effet escompté car tout simplement le secteur privé fortement affecté par la crise avait décidé de réduire sa dette et ce, malgré des taux d'intérêt et une inflation à 0%. Selon Richard C. Koo, la méconnaissance de ce type de crise est avant tout imputable aux deux principaux protagonistes qui ont tout intérêt à dissimuler leurs difficultés. En effet, si leurs problèmes venaient à être découverts, d'une part, l'entreprise endettée subirait une décote de son action de la part des agences de notation, ce qui la fragiliserait davantage et d'autre part, la banque qui lui a octroyé des prêts risquerait de perdre sa ligne de crédit (nécessaire à son fonctionnement) obtenue auprès de la Banque centrale. Cette opacité autour du comportement des différents agents économiques (secteur privé et bancaire) engendre malheureusement la mise en œuvre de mauvaises politiques de relance de la part des dirigeants. Ainsi en 1997 et 2001, les gouvernements japonais successifs, ne voyant pas venir les effets de la politique monétaire menée par la Banque Centrale, cédèrent aux pressions du FMI. Ce dernier préconisait comme solution de sortie de crise la réduction du déficit budgétaire par la mise en place d'un plan d'austérité. Au lieu de le réduire, ce plan d'austérité provoqua une augmentation du déficit budgétaire de 65%, ce qui plongea le Japon dans une spirale déflationniste d'une dizaine d'années (graph ci-dessous). En effet, le plan d'austérité ne fit qu'accélérer la baisse du PIB, réduisant ainsi les recettes fiscales et augmentant le déficit budgétaire. Réformes fiscales prématurées de 1997 et 2001 (fichier photo 2 ) Les conclusions de Richard C. Koo ont non seulement mis en évidence l'inefficacité des politiques économiques standards en période de crise de balance des paiements mais surtout l'incapacité de certains organismes dits “spécialistes” (Banques Centrales, FMI, OCDE, etc..) à comprendre la logique inhérente aux comportements économiques. De plus, elles ont permis au gouvernement japonais de comprendre les raisons de ses échecs en matière de politique de relance. Le Japon arrêta finalement son plan d'austérité par la mise en place d'une politique de stimulus fiscal de 315 trilliards de yen (2,9 trilliards de $) et évita ainsi un effondrement de son PIB de 2000 trilliards de Yen (18,4 trilliards de $). Malgré une vive condamnation de la part des agences de notation et du FMI, cette politique de relance ne sembla pas, a posteriori, être une aussi mauvaise opération. En effet, en dépit de l'augmentation de sa dette, elle permit au Japon de maintenir son PIB au-dessus des niveaux d'avant crise (1990) et ce, malgré une chute de 87% des prix de l'immobilier (graph ci-dessous). Croissance du PIB au Japon (fichier photo 3) Leçons de l'expérience japonaise à l'heure où les économies occidentales ont décidé de réduire leurs déficits budgétaires par la mise en place de plans d'austérité, elles risquent malheureusement de connaître le même sort que le Japon des années 90 : une déflation. N'est-il pas trop risqué d'implémenter des plans d'austérité alors qu'apparaissent déjà des signes avant-coureurs d'un ralentissement de l'activité économique ? Ainsi, comme le montre si bien l'indicateur économique ECRI (Economic Cycle Research Institute), l'indice américain ISM (indicateur d'expansion ou de contraction de l'activité économique) devrait dans les six prochains mois passer sous la barre symbolique des 50. Cela signifierait tout simplement que les états-Unis passeraient en récession. ECRI prédit les retournements de l'Indice ISM avec 5 à 6 mois d'avance (fichier photo 4) Entrer en récession avec un marché du travail déjà fortement détérioré risque d'augmenter considérablement la précarité aux Etats-Unis. En effet, aujourd'hui, un chômeur américain met deux fois plus de temps (35 semaines) à retrouver un emploi qu'en 2008. C'est un triste record historique. (graph ci-dessous 5). Temps moyen de chômage d'un travailleur américain (en semaines) depuis 1948 (fichier photo 6) De même, le Baltic Dry (coût du fret maritime) qui est un indicateur économique fortement corrélé à l'évolution du commerce international et qui rend compte de l'expansion ou de la contraction de l'activité économique globale a perdu près de 60% de sa valeur au cours des deux derniers mois (graph ci-dessous). C'est un signal très inquiétant d'un ralentissement économique à l'échelle planétaire. Indice Baltic Dry (Fret Maritime) (fichier photo) Faut-il continuer le programme de stimulus fiscal afin de prendre le relais d'un secteur privé plus soucieux de se désendetter que d'investir ou de consommer ? Quid du risque inflationniste inhérent à l'usage abusif de stimuli fiscaux ? Au risque de subir une déflation à la japonaise, faut-il au contraire prendre note de l'expérience récente de la Grèce et assainir sa dette budgétaire afin de garder la confiance des marchés financiers et des investisseurs acheteurs de bons du Trésor ? Le monde est plus que jamais divisé entre les pro-stimuli fiscaux invoquant l'expérience japonaise et les pro-austérité désespérés de mettre fin à cette course effrénée à l'endettement. C'est une véritable guerre de conception de la crise que se livrent aujourd'hui les économistes des quatre coins du monde et personne ne peut prétendre en connaître l'issue. À mon humble avis, le risque déflationniste ne sera que de très courte durée et je pense qu'au contraire les économies occidentales entreront rapidement dans une période inflationniste. Il n'y aura pas de sortie de crise facile et il serait naïf de croire à l'existence d'une seule et unique solution. Cette incertitude quant à l'avenir des économies occidentales fortement endettées ainsi que la fébrilité des grandes places boursières sont symptomatiques d'une volatilité imminente des marchés financiers. Celle-ci offrira demain de grosses opportunités d'investissement aux structures de gestion proactives de type Hedge Funds plus à même de combiner une vision court terme (dynamique et tactique) et long terme (macroéconomique fondamentale). En effet, elles sauront mieux identifier et exploiter les revirements de tendance (mouvements aussi bien haussiers que baissiers) à court et moyen terme. Les structures qui au contraire adopteront une gestion plus classique, souvent tenues de garder une simple vision haussière à long terme, risquent de ne plus être en phase avec cette nouvelle dynamique des marchés et d'être les grandes perdantes. K. B. (*) Partner chez GH Trading LLP Londres